Mai 2023 : Interview de Stéphanie Baumberger

INTERVIEW de Stéphanie Baumberger, coordinatrice du Master conjoint Erasmus Mundus Bioceb

Pouvez-vous vous présenter ? (Fonction, parcours)

Je m’appelle Stéphanie Baumberger et je suis professeure en chimie verte à AgroParisTech. J’anime une équipe de recherche à l’Institut Jean-Pierre Bourgin qui est une Unité mixte de recherche INRAE-AgroParisTech dédiée aux sciences du végétal. Au sein de l’équipe Apsynth, j’étudie la variabilité structurale et les fonctionnalités des lignines pour une meilleure valorisation des co-produits de bioraffinerie. Je coordonne des projets de recherche dans ce domaine depuis plus de 20 ans, et mes activités sont depuis une dizaine d’années tournées vers l’international. Depuis 2020, je suis coordinatrice du Master conjoint Erasmus Mundus Bioceb.

Stéphanie Baumberger

Pouvez-vous nous expliquer brièvement en quoi consiste le Master conjoint Erasmus Mundus Bioceb ?

C’est un Master conjoint en 2 ans, qui réunit 5 universités européennes :

  • L’Institut national des sciences et industries du vivant et de l'environnement (AgroParisTech) – France
  • L’Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA) – France
  • L’Université Aalto – Finlande
  • L’Université technologique de Tallinn (TalTech) – Estonie
  • L’Université de Liège (ULiège) – Belgique

Ces cinq universités ont coconstruit un programme de formation qui s’appuie sur cinq parcours de mobilité, où chaque étudiant doit sélectionner un de ces parcours. Chaque étudiant étudie dans trois universités parmi les cinq partenaires. Le master Bioceb est un master dédié à l’ingénierie chimique et biologique pour le développement d’une bioéconomie durable. Les étudiants de ce master ont des profils diversifiés allant de la chimie à la biologie, en passant par les sciences des aliments, des matériaux ou de l’environnement. Il s’agit d’une formation pluridisciplinaire dispensée entièrement en anglais. A la fin du programme, les étudiants obtiennent un triple diplôme de master, issu de chaque université dans laquelle ils ont étudié. Une spécificité de ce master est la mise en œuvre par les étudiants d’un « Green line project » sur les trois premiers semestres de leur cursus. Il s’agit d’un projet de groupe multisites, construit autour d’une problématique concrète de valorisation de co-produits ou déchets issus de la biomasse. Chaque projet réunit en moyenne quatre étudiants et est co-encadré par des enseignants des différentes universités du parcours des étudiants. Cette initiation à la recherche collaborative dans un environnement multiculturel est particulièrement stimulante pour les étudiants.

Pour quelles raisons avez-vous décidé de créer le master Erasmus Mundus Bioceb ?

L’idée de sa création a émergé en 2015, entre l’URCA et AgroParisTech qui avaient déjà une collaboration de longue date. Nous avions, à l’époque, identifié le besoin d’une formation internationale dans le domaine de la bioéconomie, domaine où nos deux universités étaient déjà bien engagées. Ce besoin se faisait également ressentir chez les recruteurs potentiels (industriels, laboratoires de recherche publics, cabinet de conseil), qui étaient à la recherche de profils d’étudiants combinant une double compétence en chimie-biologie et des connaissances des filières biosourcées. Parallèlement, ULiège avait manifesté son souhait de construire avec AgroParisTech une formation conjointe dans le domaine des biotechnologies blanches. Nous avons donc saisi cette occasion pour proposer à l’URCA et ULiège de monter avec nous un master international en 2 ans dans le cadre d’un programme Erasmus Mundus. L’université finlandaise Aalto, avec laquelle nous étions déjà impliqués dans un projet de recherche Horizon 2020 en bioéconomie (www.zelcor.eu), nous a également rejoint, ainsi que l’Université Technologique de Tallinn qui faisait partie du réseau de l’URCA. Nous avons donc mis à profit nos différents contacts afin de construire un consortium de partenaires motivés, permettant une très bonne synergie, grâce notamment à la complémentarité de leurs expertises.

Comment l’élaboration du master Bioceb s’est-elle déroulée ?

La construction d’une formation à l’international était quelque chose de totalement nouveau pour nous. Le pôle Europe de la Direction des Relations Internationales et Européennes (DRIE) d’AgroParisTech nous a aidés et orientés vers le format des masters conjoints Erasmus Mundus. L’avantage de ce format est pluriel ; par la mutualisation des expertises et moyens de différentes universités partenaires, la reconnaissance au niveau international et européen de l’excellence de la formation et de ses étudiants, et la source de financement qu’elle constitue, notamment à travers des bourses attractives pour les étudiants. AgroParisTech bénéficiait, de plus, déjà d’une expérience de la coordination d’un master de ce type (Master FIPDes), tout en étant également partenaire de plusieurs masters conjoints Erasmus Mundus.

Quatre étapes ont été importantes lors de l’élaboration de ce master. La première étape a été la création du consortium, le fait de trouver des partenaires aux expertises complémentaires et nécessaires au projet, s’assurer de leur engagement, prendre en compte leurs contraintes administratives et la disponibilité des enseignants. La deuxième étape a été la construction de la formation. Cette construction s’est faite de façon collégiale au sein du consortium, en prenant en compte les enseignements et méthodes pédagogiques de chaque partenaire. Nous avons pu valoriser des enseignements existants (en les basculant du français à l’anglais et en les mutualisant avec des cursus nationaux). Nous avons également identifié des manques et conçu ensemble de nouveaux enseignements spécifiques, tels que le module « Green Line Project ».

La troisième étape a été l’élaboration du budget. Il y a eu une étape de négociation avec les partenaires (montant des droits d’inscription, répartition du budget entre les partenaires en fonction de tâches précises prévues dans le projet, montant dévolu au management du projet, etc.). Le financement par la Commission européenne couvre non seulement les bourses de mobilité, mais aussi les frais de missions, de fonctionnement pédagogique, de dissémination et d’organisation des événements conjoints. La dernière étape a été de constituer un réseau de partenaires dits « associés ». Ces partenaires, en Europe et hors Europe, n’ont pas de soutien financier de l’UE et ne sont pas dans le consortium directement, mais ils s’engagent à contribuer à la formation (accueil de stagiaires, conférences, …) et au rayonnement du master. Ce réseau évolue au fur et à mesure du projet. Il permet de bénéficier d’un large éventail de compétences et donne une ouverture à l’international.

« La coordination d’un master Erasmus Mundus tel que Bioceb requiert un engagement collectif. C’est une expérience d’une grande richesse sur le plan humain. On apprend beaucoup des partenaires, on se remet en question, et c’est également une source d’innovation. »

En quoi consiste, au quotidien, votre rôle de coordinatrice du master Bioceb ?

Le rôle de coordinatrice implique un engagement continu, avec des activités tout au long de l’année. J’échange de manière quasi hebdomadaire avec notre chargée de projet, qui s’assure du bon fonctionnement du projet et répond aux questions d’ordre administratif des étudiants. Son rôle est crucial, notamment pour la cohésion du programme et les interactions au sein du consortium. Nous échangeons ensemble sur la programmation des réunions, la validation des comptes-rendus, la préparation des diplômes, le budget, la préparation des rapports intermédiaires pour la Commission européenne, mais aussi le processus de sélection des candidats et l’organisation des différents évènements. Mon travail demande beaucoup de pédagogie, avec un grand nombre d’activités de communication (information des partenaires, rédaction ponctuelle d’articles…). Je passe également du temps à accompagner les étudiants dans la construction de leur projet professionnel, leur recherche de stages, et leur placement à la sortie du master. Je les mets en contact avec des partenaires, j’écris des lettres de recommandation. C’est un important travail de réseau, valorisé par la reconnaissance des étudiants.

En parallèle de toutes ces activités, il faut savoir trouver du temps pour préparer ses cours, assurer ses enseignements et continuer à faire de la recherche. C’est possible, mais demande d’avoir une bonne équipe avec une répartition claire des responsabilités. Afin de pouvoir bien coordonner un master Erasmus Mundus, il faut bénéficier d’une bonne dynamique, avec des équipes administratives et pédagogiques qui fonctionnent bien ensemble. Cela permet au consortium de se consolider au fil des années. La coordination d’un master Erasmus Mundus tel que Bioceb requiert un engagement collectif. C’est une expérience d’une grande richesse sur le plan humain. On apprend beaucoup des partenaires, on se remet en question, et c’est également une source d’innovation. Aujourd’hui avec quelques années de recul depuis le lancement du projet, je peux dire qu’il s’agit d’un temps fort de ma carrière.

Photo membres BIOCEB

Photo Summer school à Tallinn Juin 2022

Quelles sont les possibles difficultés que peuvent rencontrer un coordinateur d’un Master conjoint Erasmus Mundus (charge de travail, etc.) ?

Une des principales difficultés en tant qu’enseignant-chercheur est le manque de formation au fonctionnement et au cadre réglementaire européen. Nous avons heureusement le soutien des services des relations internationales et européennes de nos universités pour nous épauler. On est obligé de sortir de sa zone de confort, car nous devons parfois traiter des questions et/ou sujets qui sortent du cadre habituel de nos connaissances. Il faut également savoir concilier les exigences de chaque université tout en coconstruisant notre projet, en négociant et en trouvant des compromis. Au niveau de la charge de travail, il est nécessaire de savoir déléguer aux équipes pédagogiques et de recherche. La coordination d’un master prend du temps, mais si on est motivé, la gestion du temps n’est pas la plus grande difficulté.

Le suivi à apporter aux étudiants internationaux est primordial. Ils doivent s’adapter à de nouvelles façons d’apprendre, dans un nouvel environnement et faire face à de nouvelles cultures. Cela demande d’être vigilant au niveau psychologique, notamment en ce qui concerne leur charge mentale et émotionnelle. Il y a une dimension humaine très forte au quotidien, qui est à la fois une richesse, mais qui peut être également source de stress car on se sent responsable des étudiants et de leurs futurs.

Envisagez-vous de coordonner ou de participer de nouveau à un Master Conjoint Erasmus Mundus après la clôture du Master Bioceb en 2025 ?

Oui, je souhaite poursuivre la coordination de ce master, en soumettant dès 2024 une demande de renouvellement du master pour 5 ans à la Commission européenne. Cela sera l’occasion de faire évoluer certaines choses, grâce à l’expérience acquise grâce aux quatre premières promotions d’étudiants. En attendant la réponse de notre nouvelle soumission, il y aura une promotion de transition, sans bourse. J’aimerais aussi intervenir dans d’autres masters Erasmus Mundus, au titre de Professeure invitée, pour voir quelles sont les pratiques ailleurs et pouvoir échanger sur nos expériences.

Enfin, avez-vous des conseils à donner aux enseignants-chercheurs qui souhaiteraient déposer et/ou participer à la création d’un Master Conjoint Erasmus Mundus pour la première fois ?

L’élaboration d’un master conjoint prend du temps. L’idée à l’origine du master Bioceb a émergé en 2015 et notre première promotion est arrivée en 2020. Il y a eu 2 soumissions successives, avec un premier refus, puis un succès lors de notre seconde soumission. Il ne faut pas craindre d’essuyer un refus la première année. Ce n’est pas toujours un mal, car cela permet de mieux maturer le projet, de l’améliorer et de le déposer de nouveau avec plus de chance de succès. De plus, ce type de projet est très attractif, de nombreuses universités peuvent vous solliciter, mais il est parfois nécessaire de savoir dire non et de se concentrer uniquement sur des partenaires réellement motivés et prêts à s’engager.

Je conseille également aux personnes intéressées de suivre des formations sur le management de projet et sur la négociation avant de se lancer. Cela permet d’être plus serein pour mettre en œuvre ce type d’action et d’avoir des outils pour faire face à ces situations. J’invite aussi ces personnes à échanger avec des lauréats. Enfin, il faut croire à son projet. On y croit d’autant plus que le projet est cohérent avec notre expertise de recherche et qu’il s’inscrit dans une dynamique collective.

Photo remise de diplômes BIOCEB

Crédit photo : Feng Shang Hatat (photo remise de diplôme URCA)