Mai 2023 : Interview de Philippe Ruffio

INTERVIEW de Philippe Ruffio, chef de secteur à l’EACEA

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Philippe Ruffio. Jusqu’en 2005, j’étais professeur d’université en France. Depuis 2008, je travaille au sein de l’Agence exécutive européenne pour l'éducation et la culture (EACEA), où j’occupe actuellement le poste de chef de secteur. Je m’occupe de l’action Erasmus Mundus depuis maintenant 7 ans.

photo de Philippe Ruffio

Quelles sont les missions de l’Agence exécutive européenne pour l’éducation et la culture (EACEA) ? Quel est son rôle vis à vis du programme Erasmus Mundus ?

L’EACEA est un organe de la Commission européenne (CE). Les agences exécutives ont été créées pour mettre en œuvre des politiques de l’Union européenne. Elles sont le bras armé de la CE pour la mise en place et la gestion d’un certain nombre de programmes, plus particulièrement, dans le domaine de l’éducation, la culture et le sport en ce qui concerne l’EACEA. L’agence a, en particulier, la responsabilité et la gestion des actions centralisées du Programme Erasmus+. En effet, l’action Erasmus Mundus, fait partie du programme Erasmus+. L’EACEA s’occupe de l’ensemble du « cycle du projet », ce qui inclut le lancement des appels à projets, la sélection, le conventionnent, le suivi et la clôture des projets.

Pourriez-vous nous en dire plus sur les actions préparatoires et les autres nouveautés du programme Erasmus Mundus 2021-2027 ?

Pour cette nouvelle période de programmation (2021-2027), l’objectif était de simplifier, de rendre plus flexible et plus attractive l’action Erasmus Mundus. Mettre en œuvre un master conjoint était compliqué dans l’ancien programme et limitait donc la base de candidats potentiels. L’appel principal n’a, en effet, pas pour but de financer la phase de conception et donc de développement d’un master conjoint. Lors de la candidature, il faut démontrer que le master est déjà opérationnel afin de le mettre en œuvre dès l’année suivante.

La Commission européenne a donc pensé à adjoindre à l’appel d’offres classique, une action complémentaire dans le nouveau programme pour aider et faciliter l’élaboration de masters conjoints. Les actions préparatoires visent donc à encourager la participation d’universités qui sont intéressées par le concept, mais n’ont pas encore franchi le pas. Ces actions préparatoires sont des projets de 15 mois, avec une subvention fixe de 55 000€. Cela s’adresse à des établissements qui démarrent pratiquement de zéro, et qui se trouvent dans la première phase de conception d’un master conjoint. Par comparaison, les Masters conjoints Erasmus Mundus sont des projets de 74 mois et le financement peut atteindre 5,5 millions d’euros.

En revanche, ce n’est pas parce qu’un établissement a déjà été impliqué dans un master Erasmus Mundus, qu’il est inéligible. Les deux actions sont indépendantes sachant que la priorité des mesures complémentaires est d’aider les pays, établissements et domaines sous représentés dans Erasmus Mundus. Il faut démontrer dans sa candidature dans quelle mesure la proposition répond à cet objectif.

Quel est le taux de participation et de réussite des entités françaises aux Masters conjoints Erasmus Mundus ?

La France est le premier pays participant à cette action, et affiche un très bon taux de succès, puisqu’un cinquième (soit 20 %) des masters conjoints Erasmus Mundus sont coordonnés par un établissement français, et 1 projet sur 2 comporte un partenaire français. L’implication et la réussite des établissements français restent stables. Le taux de succès global lors du dernier appel était d’environ 50 % de réussite. Ce taux de succès, assez élevé, s’explique par l’existence d’une certaine autocensure des potentiels candidats, ayant pour effet une sorte de pré-sélection. En effet, les établissements attendent d’être prêts pour se lancer compte tenu des exigences requises (comme l’obtention obligatoire des accréditations avant la candidature, par exemple). Toutefois, pour l’appel en cours, il y aura sans doute un taux un peu plus bas, étant donné le nombre plus élevé de candidatures. Le taux de succès pourrait sans doute approcher davantage les 35 %.

Pour mener à bien un master conjoint, il faut avoir le soutien de l’institution, mais il n’y a pas de projet qui fonctionne sans des personnes enthousiastes et motivées. C’est la combinaison du soutien de l’établissement et la motivation des personnes qui fait que cela fonctionne.

Existe-t-il des domaines de formation plus valorisés que d’autres dans le processus de sélection des Masters conjoints Erasmus Mundus ? Quels domaines ont été les plus représentés ces dernières années ?

Pour les mesures d’accompagnement, les pays, universités et thèmes sous-représentés seront davantage pris en compte. C’est une priorité de l’action. Pour les masters conjoints, il n’y a pas de priorité thématique, l’appel est ouvert à tous les domaines. Globalement, la Commission européenne classe les projets en 3 grands domaines : SHS, Science de la vie et Science de l’information et de l’ingénieur. La représentation de chaque domaine reste relativement équilibrée. Sur les derniers appels, il y a eu un peu plus de SHS qu’auparavant. Il n’y a pas de priorité politique.

Quels sont les critères d’attribution ou les points importants auxquels les enseignants-chercheurs doivent particulièrement veiller afin de valoriser leurs propositions de Master conjoint Erasmus Mundus ?

Les critères d’attribution (aussi nommés award criteria) tels que définis dans le guide du programme sont : la pertinence du projet, la qualité de sa conception, la qualité de son fonctionnement et de ses partenariats, et enfin l’impact et la pérennité du projet. Il est nécessaire de lire en détail ces critères, action par action. Il faut être clair, simple, concis et répondre aux questions. Mettre en avant l’originalité du projet, chercher à convaincre les experts que vous êtes prêts (dans le cas de l’appel principal). Plus on est précis, plus on rassure les experts. Il faut éviter les phrases générales et ne pas créer des projets trop complexes, le texte doit rester dense mais simple et aller à l’essentiel.

Comment est envisagée la poursuite de ces masters à l’issue du projet et du financement associé ?

C’est l’une des grandes problématiques des financements communautaires et en particulier pour cette action. La logique n’est pas de financer un master pendant 6 ans et que tout s’arrête ensuite. L’objectif est bien la pérennité de ce master. Lors de la candidature, il y a des questions sur cet aspect, sur la suite envisagée et la réflexion sur le long terme. Il faut être conscient dès le début qu’un master Erasmus Mundus est coûteux à mettre en œuvre. Le master a plus de chance d’être pérenne s’il est soutenu par l’institution, le département et la faculté. C’est dans ce cadre, que les porteurs disposeront du soutien administratif et financier nécessaire. Une fois le projet terminé, il est possible de candidater de nouveau à l’appel, mais ce n’est pas parce qu’on a déjà eu une subvention, qu’on sera subventionné obligatoirement une deuxième fois. Dans le nouveau programme, l’action permet également de financer les établissements jusqu’à 40 étudiants supplémentaires, non boursiers, pour les encourager à prospecter des sources alternatives et faire vivre ces masters sans étudiants boursiers Erasmus Mundus.

Avez-vous d’autres conseils à adresser aux enseignants-chercheurs qui souhaiteraient déposer et/ou participer à la création d’un Master Conjoint Erasmus Mundus pour la première fois ?

Pour mener à bien un master conjoint, il faut avoir le soutien de l’institution, mais il n’y a pas de projet qui fonctionne sans des personnes enthousiastes et motivées. C’est la combinaison du soutien de l’établissement et la motivation des personnes qui fait que cela fonctionne. Il ne faut pas se lancer sur un coup de tête, mais s’investir de façon sérieuse, ne pas s’arrêter après un refus ni se décourager. C’est grâce à de la constance et une importante détermination que le projet a le plus de chance de se concrétiser.