Interview d'Isabelle Poutrin, lauréate ERC projet ROTAROM17

Image Archives

1/ Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Isabelle Poutrin, j’ai 62 ans, je suis professeure des universités en histoire moderne à l’URCA depuis 2017.

Pour revenir sur mon parcours, je suis normalienne, agrégée d’histoire et ancien membre de l’École des Hautes Etudes Hispaniques de la Casa Velázquez. J’ai été Maître de conférences à l’Université Bordeaux III, puis à l’Université Paris-Est Créteil jusqu’en 2017. J’ai obtenu mon Habilitation à diriger des recherches en 2010.

Je suis actuellement responsable du projet ERC ROTAROM17 (Delivering justice on a transnational scale in Europe. The Roman Rota and the enforcement of a legal culture of negociation (c. 1560-1700) [Horizon ERC Grant n° 101096639]), depuis le 1 septembre 2023 et ce jusqu’en 2028.

2/ Quel cheminement vous a conduit à candidater au programme ERC Advanced ?

J’ai découvert la Rote Romaine (la plus haute juridiction civile de la papauté) au cours de recherches sur le consentement à l’époque moderne, et c’est le manque de travaux sur cette institution qui m’a donné envie d’étudier ce sujet. J’ai ensuite eu l’occasion de rencontrer l’historienne italienne Simona Feci, qui s’intéressait également à la Rote Romaine. Notre rencontre a fait naître une envie de collaborer et de travailler ensemble sur cette thématique et nous avons formé une équipe appelée ROTAROM, mais il nous manquait des financements pour conduire ces recherches.

J’avais piloté une ANR de 2014 à 2018 et ainsi développé une expérience dans la direction de projet. En tant que membre senior de l’Institut universitaire de France (IUF), de 2016 à 2021, je connaissais les bourses ERC mais je les associais davantage aux projets de recherche STM (Science, technologie et mathématiques). Nous avons d’abord candidaté au dispositif « Tremplin » de l’École française de Rome (EFR), un instrument qui vise à aider les chercheurs à constituer une petite équipe et à explorer les questions de financement de la recherche. Dans ce cadre, j’ai été invitée à tester un dispositif d’accueil en résidence accordé à des enseignants-chercheurs auprès des Ecoles françaises à l’étranger, en vue de déposer une demande de financement ANR ou ERC. Cette résidence de 8 mois auprès de l’EFR m’a permis de structurer mon projet, en optant pour une ERC Advanced Grant.

C’est l’ensemble de ce parcours, de la direction d’un projet ANR, en passant par l’IUF et ma résidence à l’EFR, qui m’a poussé à candidater à l’ERC.

3/ Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors du montage de votre projet ?

Il n’y existait pas de structure spécialisée dans le montage de projets ERC au sein de notre université, mais une cellule « Projets internationaux » qui m’a mise en contact avec le Point de Contact National (PCN) ERC. J’ai rencontré quelques difficultés dans le choix du moyen de financement. Initialement je souhaitais répondre à un appel ERC Synergy Grant, qui finance un projet collaboratif porté par deux à quatre chercheurs. Un entretien avec le PCN ERC, a montré que la bourse Synergy ne semblait pas la plus adaptée et qu’il était préférable de repenser le projet pour répondre à l’appel ERC Advanced, avec un unique chercheur principal (Principal Investigator).

Il a donc été nécessaire de restructurer l’équipe ROTAROM dont j’ai endossé seule la responsabilité pour ce qui est de l’administration, le travail de recherche étant piloté en étroite collaboration avec ma collègue Simona Feci. Les tâches sont réparties essentiellement entre Italie et France, avec une antenne en Espagne.

Je conseillerais de ne pas mettre trop d’égo dans une candidature ERC. Il faut garder à l’esprit que c’est un appel très compétitif et qu’on peut perdre. Ce qui a été assez compliqué aussi, c’est de penser le projet d’une manière très globale. On a souvent une idée de départ extrêmement précise. Or, pour l’ERC, il faut réussir à s’en éloigner pour identifier une question très générale, à laquelle on souhaite répondre en mettant en œuvre son projet. La montée en généralité est essentielle.

La rédaction du projet et plus particulièrement la description de l’action sont un exercice complexe car il faut découper le projet en tâches, qui auront une certaine durée et aboutiront à un certain nombre de livrables, puis déterminer le budget nécessaire pour la réalisation de chaque tâche. Il faut vraiment tout décomposer pour s’assurer d’avoir le budget le plus précis possible.

4/ Après un peu moins d’un an de mise en œuvre du projet, quels sont les points positifs quand on est lauréate d’un tel projet ?

Obtenir cette bourse ERC est très satisfaisant, car cela représente la possibilité d’effectuer un travail d’ampleur sur un sujet vaste et ambitieux. Cela me permet également de mettre à profit l’ensemble des compétences et connaissances acquises lors de mon parcours. C’est un bel investissement de fin de carrière, qui contribue à la formation de jeunes chercheurs et donne aux membres de l’équipe une occasion unique de développer des recherches dans un cadre collectif extrêmement stimulant.

J’ai le temps de faire de la science mais pas comme je le pensais. Tout d’abord, l’ERC offre une visibilité aux chercheurs lauréats, ce qui implique des invitations par d’autres programmes qui sont proches de mes recherches. J’ai donc dû répondre à des sollicitations, que je n’avais pas prévues dans le déroulé de mon projet. De plus la première année est marquée par la mise en place scientifique mais surtout administrative du projet (processus de convention, de recrutements, …). Et pour faire face à tout cela, il est fondamental d’être bien accompagné.

5/ Quel est le conseil essentiel que vous donneriez à un chercheur qui s’engage dans le projet ERC?

Une nouvelle fois, il ne faut pas en faire une histoire d’égo en cas d’échec. Mais il est certain que plus on prépare sa candidature en amont, plus on augmente ses chances de succès. J’encourage mes collègues à utiliser toutes les ressources possibles, mises à leur disposition. Pour ma part, j’ai fait appel à la Maison des langues pour la préparation à l’oral, ce qui m’a été extrêmement utile. Il faut absolument prévoir un manager dans son projet.

Il faut aussi avoir à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’un simple projet scientifique. La gestion d’un ERC nécessite des compétences en gestion de projet et en gestion de personnels surtout. Il ne faut pas hésiter à se former sur ces aspects. Enfin, s’ils en ont l’occasion, j’encourage les enseignants-chercheurs qui souhaiteraient monter un ERC à rencontrer et échanger avec des lauréats ERC, afin de bénéficier d’un partage de bonnes pratiques.

Image Archives