Avril/Mai 2021 : Interview sur la question du genre dans la recherche d'Anne-Sophie Godfroy, Chargée de Mission Egalité au sein de l'Université Paris-Est Créteil

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis maîtresse de conférences en philosophie. J’enseigne à Paris-Est Créteil, où je suis également Chargée de mission égalité, ma composante et mes enseignements sont à l’INSPE où je m’intéresse également aux questions de formations des enseignants à l’égalité. Concernant la partie recherche, je suis rattachée à la République des Savoirs (laboratoire interdisciplinaire en SHS à l’ENS). Je suis impliquée dans des projets européens sur des questions d’égalité depuis le début des années 2000. En ce moment je participe au projet ACT.

Pourquoi intégrer la question du genre dans la recherche ?

Si le genre n’est pas intégré dans la recherche, cela limite les possibilités de financement. Ne pas le faire c’est se marginaliser en tant qu’université, car l’UE et les agences de financement nationales mettent l’égalité comme condition de financement des projets.

Dans H2020, le fait de prendre en compte la dimension du genre dans la recherche était obligatoire et pouvait départager deux projets. En pratique, le critère n’était pas véritablement pris en compte par les répondants. Avec Horizon Europe, il faut non seulement continuer à prendre en compte la dimension du genre dans la recherche, mais également avoir un plan d’action pour l’égalité dans son institution afin d’être financé.

De plus, au niveau national, si l’établissement n’a pas ce plan égalité, il y a une pénalité financière pour l’Université de 1% de la masse salariale.

C’est aussi une source de « mieux être » au travail pour l’ensemble du personnel. Elle oblige à mettre au clair les procédures pour les recrutements et promotions afin d’éviter les discriminations et/ou le favoritisme. Elle induit aussi un meilleur accompagnement et reconnaissance dans sa carrière, un équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale, plus d’opportunités pour accéder à des postes à responsabilité…

Cela permet également d’avoir des filières plus mixtes créant de la diversité et développant la créativité et l’innovation de l’Université.

Du côté de la recherche, des études de cas montrent que l’intégration de la dimension du sexe et/ou du genre fait émerger de nouvelles questions et thématiques. C’est une énorme source d’innovation.

Comment intégrer le genre dans la recherche ?

Cela se fait discipline par discipline. Si certaines le font déjà comme une partie des SHS, ce n’est cependant pas fait partout. Il y a énormément de progrès à faire notamment, en médecine et en biologie, mais également en mathématiques appliquées avec la notion du biais de genre dans l’intelligence artificielle ou de l’invisibilité du genre dans les statistiques. Nous prévoyons d’organiser des cycles de conférences afin d’informer les chercheurs sur ces questions. L’idée est d’amorcer les choses, puis laisser les laboratoires et départements volontaires s’emparer du sujet et creuser les aspects qui les intéressent.

Et concernant les questions d’égalité de genre dans la recherche ?

Les questions d’égalité permettent aussi aux Universités de développer un réseau de partenariats, avec leur environnement (entreprises ou associations), essentiel pour l’Université en termes d’attractivité territoriale. À Créteil, nous avons avancé sur ces questions avec des associations comme « Nous toutes UPEC » qui travaillent plutôt sur des aspects sociétaux. Du côté des entreprises, nous développons des partenariats autour des métiers du numérique dans l’objectif d’avoir une plus grande diversité de profils dans les carrières, et plus de filles qui s’engagent dans ces filières. Plusieurs entreprises dans notre environnement veulent recruter davantage de femmes dans le domaine de l’ingénierie et du numérique. Par exemple, nous avons un partenariat avec Ubisoft, installée à proximité de l’UPEC. Ubisoft et d’autres entreprises sur le territoire souhaitent que l’UPEC développe des filières qui pourraient être un vivier de recrutement pour ces entreprises.


Vous avez mis en place deux Plan d’égalités au sein de l’UPEC, un premier pour la période 2013-2016 et un second pour la période 2020-2023. Quels changements ont été apportés ?

Notre Plan égalité à Créteil s’appuie sur deux sources d’inspirations. D’un côté, les projets européens avec notamment notre précédent projet GENDER TIME qui a permis de mettre en place le plan de 2013. Puis de l’autre, le référentiel du ministère qui a été pris en compte avec les 4 domaines obligatoires à traiter : l’égalité salariale, l’égal accès aux carrières, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, la parité et mixité dans les métiers et disciplines ainsi que l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale.

Nous avons entre autres mis en place une cellule contre les violences sexistes et sexuelles via une adresse e-mail par laquelle sont effectués les signalements. Nous constatons une réelle libération de la parole et une grande diversité de situations parfois complexes à gérer. Cela met en lumière des dysfonctionnements au sein des composantes sur lesquels il faut travailler.

Ces axes ne sont pas limitatifs. Nous avons rajouté, du fait de notre expérience européenne, la dimension de la prise en compte du sexe et du genre dans la recherche car nous pensons qu’il est particulièrement important d’aider nos chercheurs, chercheuses à répondre aux appels d’offres européens.

La sixième dimension que nous avons ajoutée est le développement d’une culture de l’égalité avec des conférences, des événements et des cours. C’est d’ailleurs dans ce chapitre que nous avons inclus les étudiantes et étudiants dans notre plan.

Quelles sont les limites du Plan égalité de genre ? Quelles améliorations possibles notez-vous ?

Sur les aspects « égalité salariale », comme nous sommes dans le cadre de la fonction publique, il y a un cadrage national à respecter ce qui est un avantage en France. Toutefois, il reste beaucoup de progrès à faire sur les promotions, sur la rémunération des heures complémentaires, ou sur l’accès à des financements pour organiser des missions ou pour financer sa recherche, etc.

Sur la question du recrutement, nous bénéficions également du cadre de la fonction publique. Néanmoins, nous avons identifié des marges de progression concernant le financement des doctorants, post-docs et contractuels. Il y a également des biais inconscients dans l’évaluation des dossiers.

Nous nous heurtons également au manque de temps, de ressources humaines et de budget pour opérationnaliser les actions afin qu'elles soient plus impactantes et visibles. Je souhaiterais notamment qu’il y ait une déclinaison du plan à l’échelle de chaque composante représentée par des référent·es égalité. En fonction de leurs besoins, elles ou ils pourraient redécliner la politique d’égalité de l’université. Ce n’est pas la volonté qui manque surtout que l’Université a mis dans ses axes prioritaires la thématique « Transformations, Inégalités, Résistances ». Nous bénéficions d’un soutien politique primordial.

Autre difficulté, le taux de rotation du personnel administratif complique parfois la mise en place des mesures sur le long terme. Il faut institutionnaliser pour qu’il y ait une réelle continuité dans le Plan d’égalité. L’Université avance bien sur ce dossier, elle prévoit d’obtenir au niveau national le Label Egalité et au niveau européen la certification HRS4R.

Enfin, les questions de genre intéressent également les personnels BIATSS, qui sont moteurs car ils gèrent les carrières. Nous avons un programme de formation qui est prévu à destination de l’ensemble de l’Université sur les violences sexuelles et sexistes.