Ludovic Daumont, Maître de conférences au sein du Groupe de Spectroscopie Moléculaire et Atmosphérique (GSMA UMR CNRS 7331) et participant au projet de l'ESA "Scientific Exploitation of Operational - Missions Improved Atmospheric Spectroscopy Databases" (SEOM -IAS), partage son expérience avec vous.
Mai 2018 - Entretien avec Ludovic Daumont
Pouvez-vous nous donner les thématiques de recherche dans lesquelles vous vous spécialisez et nous parler de vos activités à l’international ?
Au GSMA, notre équipe (qui compte 4 enseignants-chercheurs, un technicien et un ingénieur de recherche) est spécialisée dans la mesure en laboratoire des signatures spectrales des gaz par spectroscopie à haute résolution. Nous avons récemment acquis un spectromètre par Transformée de Fourier à haute résolution équipé pour tout le domaine de l’infrarouge à l’UV proche. Ces mesures permettront, à distance, de détecter et caractériser les molécules présentes dans l’atmosphère terrestre en enregistrant leur spectre d’absorption en phase gazeuse. Nous sommes notamment équipés d’une cellule de White de 50 m de longueur de base dont les parcours d’absorption peuvent aller jusqu’à 2 km.
Personnellement, j’ai obtenu ma thèse en spectroscopie moléculaire et atmosphérique à l’Université de Paris 6. Ensuite, j’ai effectué deux années en tant qu’ATER (à Reims puis à Paris) avant de travailler au GMSA à l’URCA, sur la thématique de la spectroscopie de la vapeur d’eau.
Au niveau international, nous faisons partie du comité de la base de données spectroscopiques HITRAN (« high-resolution transmission molecular absorption database »), développée et gérée par une équipe d’Harvard. Dans ce cadre, nous organisons et accueillons une conférence tous les deux ans à Reims. Nous sommes actuellement impliqués dans un projet de l’Agence spatiale européenne. Nous entretenons également des liens privilégiés avec la Russie. Ces liens sont concrétisés par la formation de GDRI (Groupe de Recherche International) et le LIA SAMIA (Laboratoires Internationaux Associés). Enfin, nous avons des collaborations avec l’Allemagne, la Belgique, le Canada et le Royaume-Uni.
Pouvez-vous nous présenter vos activités en lien avec l’Agence spatiale européenne (ESA) ?
Nous participons actuellement à un projet de l’ESA qui arrive bientôt à sa fin : « Improved Atmospheric Spectroscopy Data-bases » (IAS). Dans ce projet, qui a débuté en 2014 puis s’est prolongé en 2016, nous avons pour mission de permettre l’exploitation des données enregistrées par l’instrument TROPOMI (TROPOspheric Monitoring Instrument) du satellite Sentinel-5 lancé en 2017 par l’ESA. Ce dernier enregistre notamment, de manière régulière, le spectre d’absorption de l’atmosphère terrestre. Nos mesures de laboratoire sont utilisées pour l’interprétation de ces données en vue de détecter et de quantifier les molécules présentes dans l’atmosphère terrestre (par exemple : évolution de la couche d’ozone, suivi du SO2 libéré lors d’éruptions volcaniques) afin de mieux comprendre leur impact sur le réchauffement climatique. Le projet IAS est porté par le Centre aérospatial allemand et compte comme participants l’Institut de technologie de Karlsruhe, le CNRS, l’Université de Grenoble, l’Université de Paris-Est Créteil et l’URCA via le GSMA et l’implication de sa directrice, Maud Rotger.
Cette année, j’ai déposé un autre projet auprès de l’ESA sur la thématique du méthane, « Investigating spectroscopy and forward model improvements for atmospheric retrieval of methane in the thermal infrared », après avoir été contacté par l’entreprise française Noveltis qui sera porteuse si le projet est accepté. L’Institut néerlandais de recherche spatiale est également impliqué.
Quels avantages trouvez-vous à la participation d’un projet financé par l’ESA ?
Il y a bien-sûr un intérêt scientifique réel. C’est une opportunité assez rare de travailler sur des thèmes de grande envergure par ailleurs difficilement accessibles ou finançables, que ce soit aux niveaux régional ou national. En effet, c’est une opportunité de financement à ne pas négliger.
De plus, participer à un projet européen nous permet de développer notre réseau et de travailler avec des structures internationales avec lesquelles nous sommes complémentaires et avec lesquelles nous pouvons croiser notre expertise. Dans notre domaine, l’ouverture à l’international devient une prérogative pour mener à bien nos recherches.
Enfin, quelles spécificités caractérisent les projets de l’ESA selon vous ?
D’abord, la structuration du projet lui-même est forte avec une prévision extrêmement détaillée de ce que chaque participant est censé faire dans chaque intervalle de temps. Le lien entre les participants et le porteur du projet se traduit souvent par un contrat de sous-traitance avec un financement en cascade (ESA > porteur > participant). Notre lien administratif avec l’ESA, le financeur, est donc alors indirect. Le suivi scientifique, que ce soit lors d’échanges informels ou lors des réunions d’avancements régulièrement prévues dans le projet, est en revanche toujours soumis à l’aval direct d’au moins un représentant de l’ESA. De plus, l’Agence ne finance que les manipulations prêtes à l’emploi et non pas le développement de celles-ci. Aussi, chaque équipe doit montrer lors du montage du projet que son institut sera capable de soutenir la réalisation des tâches à effectuer.
Le reporting scientifique est, quant à lui, également régulier. Nous devons fournir des livrables tous les 6 mois à 1 an, selon notre degré d’implication. Le reporting financier est également détaillé puisqu’il doit comporter les tableaux d’activités avec correspondance des sommes monétaires dépensées. Chaque livrable validé par l’ESA permettra à l’institut qui aura fait une avance financière à l’équipe concernée de demander les sommes prévues dans le projet sur la base de ces tableaux financiers.
Les appels d’offres sont, pour la plupart, en accès large via le site internet de l’ESA. Cependant, certains appels d’offre spécifiques font état d’une communication plus ciblée, et il est alors important d’avoir été identifiés par l’ESA comme expert de confiance dans le domaine voulu. L’implication dans les structures de recherche internationales de notre domaine est donc cruciale. De fait, nos participations à ces programmes ont toujours été initiées par d’autres structures traitant des mesures atmosphériques et ayant fait appel à notre expertise pour les mesures en laboratoire.
En ce qui concerne le budget et le déroulement des projets, ils varient considérablement d’un appel à l’autre et doivent être âprement discutés entre les différents intervenants du projet afin de répondre au plus près à ce qui a été décrit dans l’appel d’offre de l’ESA.