Effervescence & Champagne

Présentation

Au cours des dernières décennies, il s’est développé une science considérable des bulles et des mousses. Cependant, avant la fin des années 1990, peu de scientifiques ont choisi de se pencher sur les bulles et la mousse du champagne et des vins effervescents. Pourtant, dans le petit volume de champagne ou de vin circonscrit par une flûte, on retrouve toutes les étapes de la vie d’une bulle. Elle naît sur une particule immergée, elle se développe dans la flûte en rejoignant la surface, où inexorablement elle vieillit, puis finit par disparaître. Chacune de ces étapes mérite qu’on s’y intéresse tant les mécanismes physicochimiques à l’œuvre dans une flûte sont subtils.
L’activité première de l’équipe s’articule autour des processus physicochimiques liés aux phénomènes d’effervescence et de mousse en œnologie. La vie d’une bulle dans un liquide sursaturé en gaz carbonique est classiquement décomposée en trois phases : sa naissance (ou nucléation), son ascension dans la matrice liquide, et sa disparition à l’interface air/liquide (par éclatement, coalescence, résorption ou disproportionnement).
Au cours des dernières années, nous avons systématiquement mené des recherches afin d’apporter des éléments scientifiques et objectifs qui contribuent à une meilleure connaissance de chacune de ces trois phases. Récemment, la bonne connaissance acquise sur ces trois phases nous a permis de développer des modèles mathématiques qui rendent compte de la cinétique de dégazage telle qu’on peut l’observer une fois le vin versé dans un verre.

Les perspectives de ce travail sur la dynamique de l’effervescence et les mécanismes de désorption du gaz carbonique sont multiples. Sur le plan de la recherche strictement œnologique, les axes de travail sont très divers. On citera par exemple : (i) la visualisation et la quantification du rôle des bulles dans le brassage et l’effet exhausteur d’arômes, (ii) l’étude de l’influence de la forme du verre sur l’impact organoleptique du produit, (iii) la quantification de la cinétique de désorption du gaz carbonique hors des cuves lors des processus fermentaires… En outre, le caractère très répandu des processus de nucléation et de croissance de bulles dans des liquides sursaturés laisse également entrevoir des projets de recherche à venir qui sortent du cadre strictement œnologique. On citera par exemple : (i) la contribution à l’étude des phénomènes d’embolie et de montée de sève chez les plantes, (ii) la modélisation des processus de nucléations de bulles dans les roches poreuses pétrolifères qui permettent la récupération d’huiles lourdes lors des mécanismes de pompage du pétrole&helli

Un beau parallèle peut être établi entre le « pétillement » de l’océan et celui du champagne dans la flûte. La source majeure de bouillonnement à la surface de l’océan est le résultat de l’action des vagues combinée à celle de la pluie, les deux phénomènes piégeant l’air dans l’eau de mer sous forme de bulles. Lorsque les bulles éclatent à la surface de la mer, elles diffusent un brouillard de gouttelettes, exactement comme le font les bulles de champagne. Dès le début des années 1970, des océanographes ont établi que ces gouttelettes constituaient un concentrât des particules présentes dans l’eau de mer dont elles étaient issues. Plus récemment, lors d’une campagne dans les océans Atlantique et Antarctique menée par le brise glace allemand Polarstern, le transport vers l´atmosphère (sous forme d’embruns) de centaines de composés organiques dissous dans l´océan a pu être décrit. Les bulles qui éclatent « écrèment » en quelque sorte la surface de l’océan, tout comme les bulles de champagne écrèment les molécules tensioactives et aromatiques de la surface du vin. Si les bulles de champagne ont pour effet de décupler notre plaisir en projetant au-dessus du verre un brouillard de gouttelettes chargées d’arômes, les gouttelettes produites par le pétillement des océans constituent la plus grande source d’embruns et de composés organiques dissous impliqués dans la chimie complexe de l´atmosphère et donc dans l´équilibre climatique global.

ACTUALITES

La bulle dans tous ses états

Un dossier sur la physique de l'effervescence publié dans le numéro de janvier de La Champagne Viticole revient sur quelques aspects du parcours de Gérard Liger-Belair et sur les activités récentes de l'équipe de recherche "Effervescence & Champagne" qu'il a créée avec Clara Cilindre en 2012 au sein du GSMA, une Unité Mixte de Recherche CNRS de l'URCA.

Un reportage de 6 minutes sur les activités de l'équipe "Effervescence & Champagne" a été diffusé sur France 3 National le 30 décembre dernier, dans l'émission quotidienne "Météo à la Carte".

On y retrouve notamment des interviews croisées de Gérard Liger-Belair et de Florian Lecasse, qui termine sa thèse au GSMA sur des problématiques relatives à l'échappement du CO2 lors de la dégustation du champagne. On retrouve également une présentation de quelques caractéristiques du nouveau verre "OenoXpert" créé par les Œnologues de France.

Le fou des bulles

Pour suivre les actualités de l'équipe :

https://www.facebook.com/equipeeffervescence

Responsables du projet CO2 : Gérard Liger-Belair (PR) et David A. Bonhommeau (MCF). Suite à une seconde fermentation alcoolique en milieu clos – la prise de mousse – une bouteille de champagne tirée à 24 grammes de sucre par litre contient en son sein environ 12,5% (v/v) d’éthanol et 11,5 grammes par litre de dioxyde de carbone dissous. Ce sont donc presque 5 litres de CO2 qui se retrouvent ainsi piégés dans une bouteille standard de 75 centilitres. Au moment du débouchage, la pression dans la bouteille chute brutalement. L’équilibre physique du dioxyde de carbone dans le champagne est rompu et les 5 litres de CO2 dissous vont être évacués de la bouteille, notamment sous la forme de bulles. La nucléation des bulles n’apparaît pas sur des irrégularités du verre mais au niveau de cristaux de sels tartriques ou de fibres végétales qui sont par exemple naturellement déposées lors de l’essuyage du verre. Des travaux récents ont montré que ces structures sont de nature cellulosique et qu’une estimation du coefficient de diffusion transverse D du CO2 à travers la paroi d’une fibre de cellulose nécessitait une modélisation mathématique du site. En particulier, ce coefficient de diffusion dépend significativement de la nature du réseau (cubique, hexagonal, compact) adopté par les polymères de glucose, appelés « microfibriles », composant la fibre et de la distance minimale entre ces microfibriles [1] (voir figure 1). Un coefficient de diffusion transverse égal à environ 20% de celui obtenu dans le liquide a été estimé et utilisé pour caractériser la cinétique des bulles dans les fibres macroscopiques [2]. Aucune étude microscopique n’existe cependant à ce jour pour confirmer l’estimation précédente de D. Il semblerait par ailleurs que la présence de sites hétérogènes de nucléation tels que les fibres de cellulose ne suffise pas à expliquer la quantité de bulles extrêmement importante générée lorsqu’on ouvre une bouteille après l’avoir secouée, un phénomène connu sous le nom de « foisonnement ».

Figure 1 : Formation de bulles au sein d'une fibre de cellulose (figure de gauche) et structure d’une fibre de cellulose composée d’une multitude de polymères de glucose appelés « microfibriles » (panneau de droite)

Une fois la bulle détachée de son support solide (voir figure 1), elle remonte dans la matrice liquide sous l’effet de la poussée d’Archimède. Pendant cette phase, elle se charge en dioxyde de carbone dissous ce qui augmente son rayon et donc son accélération verticale vers la surface libre. Une étude microscopique du coefficient de diffusion du CO2, facteur clé relié au grossissement des bulles dans le liquide, a été entreprise en 2012 à partir de simulations de dynamique moléculaire dans lesquelles un champagne brut était représenté en première approximation comme une solution hydro-alcoolique carbonatée. La boîte de simulation était composée de 104 molécules d’eau pour 440 molécules d’éthanol et 50 molécules de CO2 (voir figure 2) [3], respectant ainsi les proportions typiques des vins de Champagne. En se basant uniquement sur les formules propres aux fluides simples (calcul du déplacement carré moyen ou formule de Green-Kubo pour la diffusion) un très bon accord a été trouvé entre les résultats théoriques et ceux tirés d’expériences de spectroscopie RMN 13C pour des températures variant d’environ 8 à 20°C (voir figure 2) [4]. Cette étude a aussi permis de caractériser le réseau de liaisons hydrogènes entre les molécules d’eau et d’éthanol qui est grandement responsable de la valeur calculée du coefficient de diffusion des molécules apolaires de CO2 et de donner une estimation théorique des rayons hydrodynamiques du CO2 et de l’éthanol à partir de la relation de Stokes-Einstein.

Figure 2 : Boîte de simulation (figure de gauche) et coefficients de diffusion (figure de droite) théoriques (pointillés) pour le modèle d’eau SPC/E (bas) et TIP5P (haut), RMN (triangles), et dérivés d’une loi d’Arrhénius (croix) pour des champagnes bruts (rouge) et des solutions hydro-alcooliques carbonatées (noir).

L’objectif de l’équipe est désormais d’affiner les résultats obtenus pour les coefficients de diffusion dans le liquide (test d’autres modèles d’eau, test d’autres champs de forces classiques, etc.) et d’évaluer l’effet que pourrait avoir les molécules de glycérol et surtout de sucre sur la valeur des coefficients de diffusion du CO2 dans le liquide. Ces travaux serviront de base aux études futures visant à déterminer le coefficient de diffusion transverse du CO2 à travers la paroi de fibres de cellulose.

Références principales du projet

[1] Diffusion Coefficient of CO2 Molecules as Determined by 13C NMR in Various Carbonated Beverages, G. Liger-Belair, E. Prost, M. Parmentier, P. Jeandet, et J.-M. Nuzillard, J. Agric. Food Chem. 51, 7560-7563 (2003).

[2] Is the Wall of a Cellulose Fiber Saturated with Liquid Whether or Not Permeable with CO2 Dissolved Molecules? Application to Bubble Nucleation in Champagne Wines, G. LigerBelair, D. Topgaard, C. Voisin, et P. Jeandet, Langmuir 20, 4132-4138 (2004).

[3] CO2 Diffusion in Champagne Wines : A Molecular Dynamics Study, A. Perret, D. A. Bonhommeau, G. Liger-Belair, T. Cours, et A. Alijah, J. Phys. Chem. B 118, 1839-1847 (2014).

[4] Unveiling the Interplay Between Diffusing CO2 and Ethanol Molecules in Champagne Wines by Classical Molecular Dynamics and 13C NMR Spectroscopy, D. A. Bonhommeau, A. Perret, J.-M. Nuzillard, C. Cilindre, T. Cours, A. Alijah, et G. Liger-Belair, J. Phys. Chem. Lett. 5, 4232-4237 (2014).

Financements obtenus sur ce projet depuis 2012 :

Bourse CIFRE URCA/Bull (2012-2015). Bourse de thèse Région Grand Est/Grand Reims (2018-2021).

Aux très basses températures de formation des nanogouttes d’hélium (T ≈ 0.4 K), l’hélium 4 est superfluide, c’est-à-dire qu’il se comporte comme un fluide de viscosité et d’entropie nulle. Ces nanogouttes se comportent donc comme des nanolaboratoires à basse température qui permettent notamment la formation d’espèces moléculaires qui seraient instables, et par conséquent impossibles à produire, en phase gazeuse. Notre projet (resp. D. Bonhommeau) s’intéresse à l’étude de la dynamique de fragmentation de systèmes, et en particulier d’agrégats chargés, formés au sein de telles nanogouttes. Du fait de leur taille (plusieurs milliers voire dizaines de milliers d’atomes d’hélium) et du caractère quantique des atomes d’hélium 4, une modélisation quantique exacte de ces systèmes est impossible et notre équipe a développé en collaboration avec des chercheurs des universités de Toulouse et de Marne-la-Vallée une méthode hybride classique-quantique permettant l’étude d’agrégats de gaz rares chargés dans des nanogouttes d’un millier d’atomes sur des temps de plusieurs centaines de picosecondes. Cette méthode repose sur un code de saut de surface, pour modéliser la dynamique du dopant (ie, l’agrégat chargé), couplé à une dynamique classique des noyaux d’hélium évoluant sur un potentiel effectif qui prend en compte des effets d’énergie de point zéro de l’agrégat d’hélium à travers une modification du potentiel de paire He-He. Les résultats obtenus sur les agrégats de néon [1,2], et récemment sur les agrégats d’argon permettent déjà de mieux comprendre les mécanismes de fragmentation au sein des nanogouttes et devraient aider à l’interprétation des résultats issus des expériences de spectrométrie de masse. Ces premiers travaux s’inscrivent dans le cadre plus général du développement futur de programmes visant à modéliser la dynamique de systèmes moléculaires voire macromoléculaires au sein de nanogouttes d’hélium.

Collaborations (hors URCA) : laboratoire LCAR (Toulouse), laboratoire MSME (Marne-La-Vallée).

Références principales du projet

[1] Modeling the fragmentation dynamics of ionic clusters inside helium nanodroplets: The case of He100Ne4+, D. Bonhommeau, P. T. Lake, Jr, C. Le Quiniou, M. Lewerenz et N. Halberstadt, J. Chem. Phys. 126, 051104 (2007).

[2] Fragmentation of ionized doped helium nanodroplets: Theoretical evidence for a dopant ejection mechanism, D. Bonhommeau, M. Lewerenz et N. Halberstadt, J. Chem. Phys. 128, 054302 (2008).