Responsables du projet CO2 : Gérard Liger-Belair (PR) et David A. Bonhommeau (MCF). Suite à une seconde fermentation alcoolique en milieu clos – la prise de mousse – une bouteille de champagne tirée à 24 grammes de sucre par litre contient en son sein environ 12,5% (v/v) d’éthanol et 11,5 grammes par litre de dioxyde de carbone dissous. Ce sont donc presque 5 litres de CO2 qui se retrouvent ainsi piégés dans une bouteille standard de 75 centilitres. Au moment du débouchage, la pression dans la bouteille chute brutalement. L’équilibre physique du dioxyde de carbone dans le champagne est rompu et les 5 litres de CO2 dissous vont être évacués de la bouteille, notamment sous la forme de bulles. La nucléation des bulles n’apparaît pas sur des irrégularités du verre mais au niveau de cristaux de sels tartriques ou de fibres végétales qui sont par exemple naturellement déposées lors de l’essuyage du verre. Des travaux récents ont montré que ces structures sont de nature cellulosique et qu’une estimation du coefficient de diffusion transverse D du CO2 à travers la paroi d’une fibre de cellulose nécessitait une modélisation mathématique du site. En particulier, ce coefficient de diffusion dépend significativement de la nature du réseau (cubique, hexagonal, compact) adopté par les polymères de glucose, appelés « microfibriles », composant la fibre et de la distance minimale entre ces microfibriles [1] (voir figure 1). Un coefficient de diffusion transverse égal à environ 20% de celui obtenu dans le liquide a été estimé et utilisé pour caractériser la cinétique des bulles dans les fibres macroscopiques [2]. Aucune étude microscopique n’existe cependant à ce jour pour confirmer l’estimation précédente de D. Il semblerait par ailleurs que la présence de sites hétérogènes de nucléation tels que les fibres de cellulose ne suffise pas à expliquer la quantité de bulles extrêmement importante générée lorsqu’on ouvre une bouteille après l’avoir secouée, un phénomène connu sous le nom de « foisonnement ».
Figure 1 : Formation de bulles au sein d'une fibre de cellulose (figure de gauche) et structure d’une fibre de cellulose composée d’une multitude de polymères de glucose appelés « microfibriles » (panneau de droite)
Une fois la bulle détachée de son support solide (voir figure 1), elle remonte dans la matrice liquide sous l’effet de la poussée d’Archimède. Pendant cette phase, elle se charge en dioxyde de carbone dissous ce qui augmente son rayon et donc son accélération verticale vers la surface libre. Une étude microscopique du coefficient de diffusion du CO2, facteur clé relié au grossissement des bulles dans le liquide, a été entreprise en 2012 à partir de simulations de dynamique moléculaire dans lesquelles un champagne brut était représenté en première approximation comme une solution hydro-alcoolique carbonatée. La boîte de simulation était composée de 104 molécules d’eau pour 440 molécules d’éthanol et 50 molécules de CO2 (voir figure 2) [3], respectant ainsi les proportions typiques des vins de Champagne. En se basant uniquement sur les formules propres aux fluides simples (calcul du déplacement carré moyen ou formule de Green-Kubo pour la diffusion) un très bon accord a été trouvé entre les résultats théoriques et ceux tirés d’expériences de spectroscopie RMN 13C pour des températures variant d’environ 8 à 20°C (voir figure 2) [4]. Cette étude a aussi permis de caractériser le réseau de liaisons hydrogènes entre les molécules d’eau et d’éthanol qui est grandement responsable de la valeur calculée du coefficient de diffusion des molécules apolaires de CO2 et de donner une estimation théorique des rayons hydrodynamiques du CO2 et de l’éthanol à partir de la relation de Stokes-Einstein.
Figure 2 : Boîte de simulation (figure de gauche) et coefficients de diffusion (figure de droite) théoriques (pointillés) pour le modèle d’eau SPC/E (bas) et TIP5P (haut), RMN (triangles), et dérivés d’une loi d’Arrhénius (croix) pour des champagnes bruts (rouge) et des solutions hydro-alcooliques carbonatées (noir).
L’objectif de l’équipe est désormais d’affiner les résultats obtenus pour les coefficients de diffusion dans le liquide (test d’autres modèles d’eau, test d’autres champs de forces classiques, etc.) et d’évaluer l’effet que pourrait avoir les molécules de glycérol et surtout de sucre sur la valeur des coefficients de diffusion du CO2 dans le liquide. Ces travaux serviront de base aux études futures visant à déterminer le coefficient de diffusion transverse du CO2 à travers la paroi de fibres de cellulose.
Références principales du projet
[1] Diffusion Coefficient of CO2 Molecules as Determined by 13C NMR in Various Carbonated Beverages, G. Liger-Belair, E. Prost, M. Parmentier, P. Jeandet, et J.-M. Nuzillard, J. Agric. Food Chem. 51, 7560-7563 (2003).
[2] Is the Wall of a Cellulose Fiber Saturated with Liquid Whether or Not Permeable with CO2 Dissolved Molecules? Application to Bubble Nucleation in Champagne Wines, G. LigerBelair, D. Topgaard, C. Voisin, et P. Jeandet, Langmuir 20, 4132-4138 (2004).
[3] CO2 Diffusion in Champagne Wines : A Molecular Dynamics Study, A. Perret, D. A. Bonhommeau, G. Liger-Belair, T. Cours, et A. Alijah, J. Phys. Chem. B 118, 1839-1847 (2014).
[4] Unveiling the Interplay Between Diffusing CO2 and Ethanol Molecules in Champagne Wines by Classical Molecular Dynamics and 13C NMR Spectroscopy, D. A. Bonhommeau, A. Perret, J.-M. Nuzillard, C. Cilindre, T. Cours, A. Alijah, et G. Liger-Belair, J. Phys. Chem. Lett. 5, 4232-4237 (2014).
Financements obtenus sur ce projet depuis 2012 :
Bourse CIFRE URCA/Bull (2012-2015). Bourse de thèse Région Grand Est/Grand Reims (2018-2021).