Modélisation du climat de Titan
Titan, le plus gros satellite de Saturne, possède une atmosphère dense de 1.4 bar essentiellement composée d'azote moléculaire et de méthane (5% à la surface et 1.5% dans la stratosphère) et une température de surface de 93,5 K. Le méthane et le diazote sont détruits par photodissociation et par les particules énergétiques de la magnétosphère de Saturne. Cela forme des molécules plus ou moins complexes et une brume d'aérosols qui recouvre toute la planète. Bien que le méthane soit relativement abondant sur Titan, la détection de nuages de méthane dans la basse atmosphère n'est survenue qu'en 1995, sans toutefois donner d'information sur leurs formes et leurs distributions. A partir de 2002, et surtout en 2005, les nuages ont été imagés directement par des télescopes et par Cassini et Huygens. Ces observations ont montré que Titan possède une atmosphère riche en phénomènes météorologiques. Les nuages ont été observés au pôle sud, à 40°S et dans la région polaire d'hiver. L'orbiteur Cassini et la sonde Huygens ont observé la surface de Titan et ont révélé que celle-ci est imbibée de méthane liquide, et porte les marques de réseaux fluviatiles vraisemblablement liés à des écoulements de méthane liquide. Enfin, les sondages radars ont montré l'existence de très nombreux grands lacs dans la région polaire nord. Depuis 2004, les observations de Cassini et Huygens ont révélé en détail la complexité du climat de Titan, qui devient littéralement un nouveau monde. Titan et la Terre sont à ce jour les seuls corps connus à posséder des étendues liquides stables. Le mèthane joue sur Titan, à plusieurs titres, un rôle similaire à celui de l'eau sur la Terre. Cependant, les cycles à court et à long termes du méthane sont quasiment inconnus. De nombreuses similitudes et différences avec d'autres planètes peuvent être soulignées :
Le parallèle entre Titan et la Terre est souvent remarqué, comme cela vient d'être encore illustré récemment, par la découverte de molécules organiques de type acides aminés et bases de nucléotides dans des analogues d'aérosols réalisés avec du monoxyde de carbone à l'état de trace, comme sur Titan. Avec cette découverte, Titan devient la seconde planète pouvant potentiellement héberger de telles molécules, briques élémentaires de la vie. Par ailleurs, la brume omniprésente sur Titan est analogue à celle qu'a pu connaître la Terre dans sa prime jeunesse. De nombreux travaux ont été réalisés sur quelques périodes charnières. Par exemple, la période "Terre primitive" (il y a plus de 1 milliard d'années) est une phase pendant laquelle le flux solaire était 20 à 30% plus faible qu'aujourd'hui. Or la température était proche de la température actuelle, et l'eau liquide était présente tôt (avant -3 milliards d'années). Ce problème peut être résolu en invoquant la présence du CO2 et de l'eau en quantité suffisante dans l'atmosphère. Il est cependant plus probable qu'en plus de ces deux gaz, l'atmosphère contenait également du méthane (un autre gaz à effet de serre puissant) et de l'ammoniac de façon pérenne. Ces deux gaz, facilement détruits par le rayonnement, étant protègés des UV par une brume photochimique similaire à celle de Titan. C'est aussi cette brume primitive qui a pu protéger les prémices de la vie. Le parallèle entre la Terre et Titan est donc particulièrement frappant pour cette partie de l'histoire terrestre, et l'idée que les molécules fragiles puissent être protégées par de la brume est relativement récente.
La climatologie et le cycle du méthane a aussi des résonances avec la climatologie martienne. On y trouve une prédominance de la cellule de Hadley, la source de l'espéce condensable est à la surface, et en région polaire. En particulier, l'une des spécificités de Mars et Titan est l'excentricité de l'orbite et un cycle saisonnier en phase avec le cycle orbital (c.à.d l'aphélie et le périhélie proche des solstices) qui génére une asymétrie du climat. Sur Mars, ce phénomène a été identifié et a été représenté dans un modéle de circulation générale. Il repose sur le fait qu'au solstice d'été nord, la température est plus faible qu'au solstice d'été sud, à cause du phasage orbite-saison. Des nuages se forment dans la branche ascendante de la cellule de Hadley qui transporte l'eau du pôle d'été vers la zone de convergence, puis vers l'hémisphère d'hiver. Or les nuages se forment plus bas et plus massivement, à cause d'une température plus faible, lors de l'été nord que lors de l'été sud. Ainsi, l'eau est piégée plus efficacement lors de son transport du nord vers le sud pendant l'été nord que dans son transport du sud vers le nord dans la saison opposée. Sur l'année, cela crée une asymétrie du transport, résultant en une asymétrie des deux hémisphères et des deux calottes polaires dans leur contenu en eau. Cet effet météorologique est aggravé sur Mars par une dichotomie inter-hémisphérique dans le relief. Sur Titan, le même mécanisme est invoqué pour expliquer l'asymétrie dans la distribution des lacs polaires, mais aucune modèlisation climatique n'a été réalisée pour le moment. De surcroît, si un tel processus existe, il faut aussi attendre d'autres asymétries, dans la couverture nuageuse, la couche de brume et les précipitations, qui seront mises en évidences dans les années qui viennent par les observations de Cassini.
Un modèle de climat global (GCM) de Titan a été développé au LMD, puis à l'IPSL dès le début des années 1990, avec pour enjeu de préparer la mission Cassini-Huygens, arrivée dans le système de Saturne en 2004. D'abord développée en 3D au début des années 90, il a ensuite été simplifié en 2D (latitude-altitude) en 1996 pour permettre d'inclure les couplages complexes avec la brume et les nuages puis la chimie. Un effort important a aussi été réalisé pour comprendre le mécanisme de superrotation et mieux paramètriser l'interaction entre les ondes et la circulation moyenne dans la version 2D. Depuis près de 20 ans, ce modèle a permis de comprendre les principaux mécanismes et couplages régissant le climat (Figure 1). Il a aussi été utilisé pour interprèter certaines observations, a donné des clefs de compréhension. Cette version 2D du GCM de l'IPSL a été le premier dans de nombreux domaines, et pour ce qui nous intéresse ici, le premier à traiter de façon complète les cycles de la brume et des nuages.
Depuis 2004, les nouvelles informations disponibles concernant Titan ; la climatologie complète des nuages et leur évolution temporelle, l'évolution de la couche de brume, les structures de surface montrent que la plupart des grandes structures varient en longitude et qu'un redéploiement du GCM en 3D est pleinement justifiée (Figure 2). L'enjeu est aussi de comprendre le cycle complet du méthane sur Titan (évaporation, condensation, précipitation) et l'interaction avec les lacs et le cycle des aérosols. Ce projet a été aussi rendu possible gràce aux progrès des calculateurs entre 1996 (date du passage en 2D) et maintenant. Le projet de redéveloppement du GCM en 3D a été initié gràce au projet ANR EXOCLIMAT (2007-2011). Pour cela, un coeur dynamique de dernière génération (le LMDZ4), déjà utilisé pour les modèles de climat terrestre, a été utilisé (Lebonnois et al., 2012). Dans ce projet, le rôle dévolu au GSMA était la mise en place du modèle de microphysique des nuages et l'interaction avec le brume et les lacs. Dans ce cadre, une version du GCM 3D avec le modèle de nuages déjà utilisé pour le modéle 2D a été développé.
En parallèle, l'arrivée de Cassini et Huygens dans le système de Saturne a aussi déclenché, au niveau international, un grand effort pour produire des modèles de climat, surtout aux Etats-Unis, mais aussi en Allemagne. Ces modèles sont plus ou moins sophistiqués, avec différents niveaux de couplage et de forçage. Deux modèles, hormis le notre, sont axés sur la prédiction de la couche nuageuse, l'élément le plus saillant du climat de Titan. Cependant le modèle de l'IPSL reste, de loin, le plus complet, avec une volonté de traiter l'ensemble des processus avec des mécanismes au plus proche de la physique, et la prise en compte du maximum de couplages entre divers processus. L'objectif est de produire un modèle pour Titan analogue en niveau de réalisation aux modèles de la Terre et de Mars.
Depuis plusieurs années maintenant, l'atmosphère de Titan est observée de façon régulière sur Titan par les télescopes et surtout les instruments embarqués sur Cassini (VIMS, ISS, UVIS, etc...). Ces observations sont suffisamment nombreuses pour faire une cartographie de la couverture nuageuse et également pour suivre son évolution avec les saisons. L'année de Titan est de 30 ans terrestres et, en aoùt 2009, Titan est passé par son équinoxe de printemps nord, ce qui a permis d'observer pour la première fois une évolution climatique majeure avec le basculement de la circulation. Cela s'est traduit sur les champs de température, les espèces chimiques, la couche d'aérosols et les nuages. Le détail de ces évolutions est directement lié à la circulation atmosphérique, et bien sùr ne peut étre interprété qu'avec un modèle de climat. Or, si de nombreux modéles existent actuellement, avec différents niveaux de réalisation, seul le GCM 3D de l'IPSL peut réellement étudier ces changements dans toutes leurs complexités et en y incluant tous les couplages et les processus . Pour aborder ces questions il est essentiel de développer le modèle de microphysique de nuages dans le GCM 3D. En effet, le présent modèle a pour vocation à terme d'étudier l'ensemble des cycles sur Titan et leurs interactions. La physique inhérente aux nuages est bien entendu primordiale pour les aérosols qui servent de noyau de nucléation et pour le méthane.
Par exemple, le cycle complet du méthane, en incluant les différents éléments du cycles : évaporation (lacs, sous-surface), nuages et précipitations ainsi que les flux entre les différentes réservoirs (liquides et gazeux essentiellement). La seule manière de contrôler les résultats du modèle est de comparer les quantités observées de ce cycle ; les nuages et aussi les variations de niveau des lacs. D'autre part, les observations déjà réalisées décrivent une évolution de la brume qui met en jeu la circulation mais aussi l'interaction avec les nuages qui sont un puits important d'aérosols. Méme si ce puits agit en dessous de 60 ou 80 km, ses effets se répercutent jusque dans les hautes couches puisque les aérosols (agrégats extrêmement ouverts) sont très mobiles et circulent dans toute la stratosphère. La finalisation de ces couplages et la comparaison avec les observations sont donc un passage obligé pour une meilleure compréhension du climat. Une telle approche a déjà été démontrée avec le GCM 2D entre 1990 et 2006. Le GCM 3D doit permettre des avancées de mème nature, avec un jeu d'observations bien plus détaillé que par le passé, et donc une exigence supérieure pour la réalisation du modèle.