Nos chercheurs ont la parole... Entretien avec Martine Herzog-Evans, Enseignante-Chercheuse au CEJESCO (01/10/2025)
1°/ Vous avez récemment conduit, à la demande de la MILDECA et du Ministère de la Justice, une étude sur l’adaptation en France des Juridictions Résolutives de Problèmes. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Nées aux Etats-Unis, les Problem-Solving Court, ou Juridictions Résolutives de Problèmes (JRP), constituent des juridictions d’un nouveau genre, où le juge ne s’intéresse pas seulement à la commission de l’infraction, mais également à la personnalité de l’infracteur, généralement très vulnérable et à haut risque. Les JRP se destinent donc à un public particulier, multirécidiviste et cumulant différentes vulnérabilités (addictions, faible insertion sociale, troubles psychiques).
Cette étude mixte, commandée par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) et le Minisère de la Justice français, a examiné l’adaptation de ces JRP en France.
Le mappage quantitatif, fondé sur des documents, rapports et un questionnaire LimeSurvey approfondi mesurant les mêmes dimensions que la partie qualitative, a identifié 20 programmes répondant aux critères minimaux des JRP et 18 dispositifs apparentés d’« accompagnement renforcé » (AR) — soutien renforcé aux personnes placées sous main de justice — dépourvus de supervision judiciaire.
L’étude qualitative, menée sur trois sites, incluait de l’immersion et de l’observation, l’analyse de documents et de rapports, ainsi que des entretiens avec des praticiens et des personnes placées sous main de justice, tandis que l’analyse quantitative offrait une vue d’ensemble nationale sans observation directe de terrain.
Ces deux volets ont évalué la conformité aux modèles théoriques et empiriques fondés sur les données probantes ("Evidence-Based Practices", EBP) dans les domaines criminologique, psychologique, social et sanitaire. Un score JRP et un score AR ont été créés pour chaque site afin de mesurer leur proximité avec les composantes associées à l’efficacité internationale des JRP et aux EBP ; ce système de cotation offre également un outil potentiel de référence pour l’amélioration future des programmes.
2°/ Quelles conclusions avez-vous tirées de ces recherches ?
Les résultats révèlent une transplantation partielle : si les sites JRP offrent un soutien social et addictologique supérieur au traitement habituel, ils omettent souvent des composantes essentielles à l’efficacité, notamment la justice procédurale, la collaboration interinstitutionnelle intégrée, l’évaluation et l’intervention criminologiques EBP, ainsi qu’une structuration programmatique thérapeutique.
L’implication judiciaire, généralement peu fréquente et procéduralement limitée, réduit les bénéfices en termes de légitimité. Les programmes AR sont plus minimalistes, s’appuyant souvent sur des partenariats fondés sur le référencement plutôt que sur une collaboration intégrée. Des obstacles structurels — financement à court terme, fort turn-over, formation spécialisée limitée, formation initiale insuffisante dans les disciplines pertinentes (notamment en criminologie et psychologie forensiques), bureaucratie enracinée et partenariats de type « salami slicing » — limitent la fidélité au modèle international des JRP.
3°/ Formuleriez-vous des recommandations ?
L’étude recommande la diffusion nationale des principes des JRP validés scientifiquement, la réforme des règles du secret professionnel, l’accréditation des programmes d’intervention, ainsi qu’une évaluation criminologique EBP précoce afin d’aligner l’orientation pénale sur le dosage de traitement et sur les méthodes de traitement EBP.
Martine Herzog-Evans, Professeure à l'Université de Reims Champagne-Ardenne
1°/ At the request of MILDECA and the Ministry of Justice, you recently conducted a study on the adaptation of Problem-Solving Courts in France. Could you tell us more?
Originating in the United States, Problem-Solving Courts (PSCs) are a new type of court, where the judge is not only interested in the commission of the offense, but also in the personality of the offender, who is generally very vulnerable and at high risk. PSCs are therefore intended for a specific population, including repeat offenders and those with multiple vulnerabilities (addictions, poor social integration, or mental health issues).
This mixed-methods study, commissioned by the Interministerial Mission against Drugs and Addictive Behaviours (MILDECA) and the French Ministry of Justice, examined the adaptation of Problem-Solving Courts (Juridictions Résolutives de Problèmes – JRP) in France.
Quantitative mapping, based on documents, reports, and an extensive LimeSurvey questionnaire measuring the same dimensions as the qualitative strand, identified 20 programmes meeting minimal JRP criteria and 18 related “accompagnement renforcé” (reinforced probationer support – AR) schemes lacking judicial supervision.
Qualitative fieldwork on three sites included immersion and observation documents and report analysis and interviews with practitioners and probationers, while the quantitative analysis provided a broader national overview without direct field immersion. Both strands assessed alignment with theoretical and empirical evidence-based practices (EBP) across criminological, psychological, social, and health domains. A JRP score and an AR score were created for each site to measure proximity to components associated with international JRP effectiveness and EBPs; this scoring system also offers a potential benchmarking tool for future programme improvement.
2°/ What conclusions have you drawn from this research?
Findings reveal partial transplantation: while JRP sites provide enhanced social support and addiction care compared to treatment-as-usual, they often omit core effectiveness components, notably procedural justice, integrated inter-agency collaboration, EBP criminological assessment and intervention, and structured therapeutic programming.
Judicial involvement was generally infrequent and procedurally limited, undermining legitimacy benefits. AR programmes were more minimalist, frequently relying on referral-based partnerships rather than integrated collaboration. Structural barriers—including short-term funding, high staff turnover, limited specialist training, insufficient initial training in relevant disciplines (notably in forensic criminology and psychology) entrenched bureaucracy and “salami slicing” partnerships—restricted fidelity to international JRP models.
3°/ Would you make any recommendations?
The study recommends national dissemination of empirically supported JRP principles, reform of professional secrecy rules, accreditation of intervention programmes, and earlier EBP-based criminological assessment to align sentencing with treatment dosage and EBP treatment methods.
Martine Herzog-Evans, Professeure à l'Université de Reims Champagne-Ardenne