Franck Diard : programmeur informatique, maître inventeur, démêleur de sacs de nœuds, rock star, mécène…
Franck Diard : programmeur informatique, maître inventeur, démêleur de sacs de nœuds, rock star, mécène…
Etudiant de l’URCA au début des années 90, c’est aux Etats-Unis que Franck Diard a mené carrière, pour devenir une ‘pointure’ de l’informatique graphique et des images de synthèse. Aujourd’hui il souhaite donner un coup de pouce à ses successeurs en faisant un don à la Fondation URCA.
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Franck Diard n’est pas Bruce Springsteen - même s’il tâte un peu de la guitare. Mais dans sa partie - la programmation informatique - Franck Diard, à l’image du ‘Boss’, est une rock star. A ce titre, il compte d’ailleurs quelques jolis succès à son palmarès. Par exemple (un), en 2005, il met au point une solution permettant de relier deux ou plusieurs cartes graphiques travaillant sur une même sortie. Réussite totale. Nvidia, l’entreprise américaine pour laquelle il travaille, commercialise ladite solution sous la marque SLI (Scalable Link Interface) et réalise bientôt 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires. Par exemple (deux), en 2010, avec Optimus, il permet d’activer ou non la carte graphique d’un PC portable en fonction des exigences graphiques de l’activité de l’utilisateur. Re-carton pour Nvidia. Par exemple (trois), en 2015, il conçoit GeForce Now, en quelque sorte le Netflix du jeu virtuel à la demande. Là également le succès commercial est au rendez-vous. Il faut encore savoir que dans sa carrière Franck Diard a déposé 104 brevets, ce qui le situe dans le Top 5 français. Rock star, on vous dit !
« J’ai l’obsession de la simplicité et de la performance »
Depuis 24 ans chez Nvidia (dont on rappellera qu’il s’agit de l’une des plus grandes entreprises technologiques actuelles, pionnière dans le domaine des technologies graphiques et des solutions d’intelligence artificielle, qui a su s’imposer comme le leader incontesté du marché des GPU ou processeurs graphiques, et se diversifie aujourd’hui vers les data centers et l’intelligence artificielle, 25 000 employées, 3 600 milliards de dollars de capitalisation boursière), Franck Diard en a gravi tous les échelons ‘à la force du poignet’ - « surtout en bossant comme un fou » assure-t-il. De grouillot (dixit lui-même) il est devenu ‘ingénieur distingué’ - distinguished engineer, dans la langue de Bill Gates -, sorte de vice-président de toute la partie technique de Nvidia, le plus haut poste en la matière. Il est aussi ‘maître inventeur’ (reconnaissance interne - confer les 104 brevets). Il est enfin ‘chef architecte logiciel’, sa spécialité, son coeur de métier. Il conseille, expérimente, trouve des solutions… « Finalement, mon meilleur titre est sans doute ‘démêleur de sac de nœuds’ » glisse Franck Diard - qui aime bien également l’image du ‘couteau suisse’ pour souligner sa polyvalence et sa capacité à apporter des réponses multiples aux difficultés rencontrées. « Je puise dans l’historique de mon cerveau, où j’ai enregistré tous les problèmes que j’ai connus dans ma carrière. » Preuve irréfragable qu’en informatique la mémoire sert à quelque chose ! « Je suis surtout pragmatique - c’est ma marque de fabrique - et j’ai l’obsession de la simplicité et de la performance, pour aller à l’essentiel. Je pense que c’est ce que l’on apprécie chez moi. »
A 53 ans, Franck Diard peut se flatter d’avoir professionnellement réussi.
Une réussite dont il connaît le prix.
La section ‘Image et communication’
Né dans l’Aube, en 1971, Franck Diard ne cache pas ses origines très modestes. Pour autant, le jeune Franck a du potentiel, du courage et… de la chance. Autant d’éléments sur lesquels il saura s’appuyer pour construire son parcours. « Je n’étais pas un élève brillant. Mais, déjà, j’aimais bien comprendre les choses et je travaillais en conséquence. » Un professeur de physique l’aide à passer en Terminale C - la section des forts en maths de l’époque. « J’ai eu le Bac de justesse, avec 10/20. Je me suis présenté aux concours d’écoles d’ingénieur. J’ai été recalé partout. J’ai finalement accroché une place à l’IUT de Reims. Pas trop loin, pas trop cher… » Bourse, chambre en cité universitaire, sandwiches. Mais accès à des ordinateurs - « Je n’en avais jamais eu chez moi ; j’allais jouer sur ceux de mes copains. ». Il faut dire qu’à l’IUT, il est en ‘Informatique et gestion’. « Sur la partie informatique et programmation, j’étais major de promotion. Mais la comptabilité et l’économie ne m’intéressaient pas du tout et je n’y comprenais rien. Il me fallait quand même une note plancher dans cette partie. Une amie m’a aidé à bosser la question, et j’ai décroché mon diplôme… » Cette puissance de travail, Franck Diard saura la mettre à profit. Sa chance du moment c’est sa rencontre avec les étudiants et les enseignants de la section ‘Image et communication’, au bout des couloirs de l'IUT. « Ils utilisaient les mêmes ordinateurs que moi ! » Ces chercheurs remarquables du LERI (Laboratoire d'Etudes et de Recherches Informatiques) programmaient des logiciels qui généraient des images de synthèse spectaculaires. Franck en prend plein les yeux et se lie d’amitié avec eux. « Il n’y avait pas de réseaux sociaux, pas de téléphones portables, et je n’avais pas d’argent pour sortir. A part un peu de basket [activité sportive qui lui coûtera les ligaments croisés d’un genou, et l’on verra pourquoi ce sera… une chance], nous passions notre temps à travailler sur des logiciels, le jour, la nuit, vacances scolaires comprises, toujours en équipe. Sans moyens pour avancer plus vite - pas d’Internet, par exemple ! - il fallait chercher, chercher, chercher… Nous y avons consacré des milliers d’heures et beaucoup d’imagination, mais nous avons réussi à assembler des systèmes très élaborés. » Expérience formatrice qui l’amène à développer « les facultés d’analyse, d’ouverture d’esprit, d’humilité aussi, propre à l’informatique ». C’est là que Franck Diard découvre le codage, son épiphanie à lui, pour créer ces images de synthèse qui le font rêver… « Tout vient du codage. Ça permet de tout comprendre. C’est un travail d’investigation. » D’ailleurs, s’il ne s’était pas plongé dans l’informatique, il aurait volontiers versé dans la police scientifique !
Le rêve américain par la petite porte
La suite - pour résumer un peu - c’est une Maîtrise, toujours à Reims, sous l’égide des professeurs Laurent Lucas, Yannick Remion, Noël Bonnet et Claude Secroun, qui le coachent, puis un DEA (aujourd’hui on dit un Master II) Vision artificielle et robotique à Sophia-Antipolis (devenue Université Côte d’Azur) qui lui ouvre les portes d’une thèse consacrée au calcul parallèle pour la synthèse d'images. « Je dois dire que j’ai bénéficié du départ au service militaire des majors de promo qui étaient devant moi. Avec mon genou ‘en vrac’ [cf. un peu plus haut] j’en étais exempté. La bourse pour effectuer cette thèse m’a été attribuée, ce qui représentait une chance exceptionnelle au regard de ma situation modeste. »
Trois ans plus tard, doctorat en poche (« Sans doute ma thèse n’était-elle pas brillantissime, mais elle avait un côté très pratico-pratique intéressant dans son application »), Franck Diard décide de prendre le chemin de la Californie et de la Silicon Valley (aaaaah ! Apple, Xerox, Hewlett-Packard…) vers ce ‘rêve américain’ « qui n’est pas forcément celui que l’on imagine ! ». « 1 000 CV envoyés, 3 réponses », mais un chasseur de tête lui trouve une place, en lui faisant effectuer un crochet d’un an par le Canada dans l’attente de son visa pour les Etats-Unis - « J’ai adoré Montréal ». En 1999, enfin, il est à pied d’œuvre et commence comme ‘support technique’, « c’est-à-dire le type qui dépanne par téléphone ». Difficile avec pour tout bagage l’anglais scolaire des années 80/90. « Je ne comprenais pas ce que l’on me disait ; on ne comprenait pas ce que je disais. » Mais sa bonne étoile ne l’abandonne pas et Franck Diard, grâce à son doctorat, décroche un job dans une petite boîte inconnue nommée Nvidia. Son recruteur anticipe sa capacité à résoudre les problèmes même s’il ne connaît pas le système sur lequel il doit travailler (sic !), on l’engage contre l’avis de son équipe. « Un an de galère totale, avec l’animosité de mes ‘collègues’ en prime. Je suis passé ‘aux forceps’. J’ai bossé comme un malade et j’en ai tellement bavé que je me suis pris de passion pour ce f… (en américain, et censuré dans le texte) matériel, jusqu’à ce qu’il fonctionne et devienne mon Graal. » Début de l’aventure chez Nvidia.
Supplément d’âme
« De 28 à 42 ans… j'ai travaillé/des années/sans répit/jour et nuit/pour réussir/pour gravir/les sommets [air connu]. Heureusement, j’ai pu compter sur le soutien sans faille de mon épouse, rencontrée aux USA. Je regrette juste que mes parents n’aient pas vu ma réussite professionnelle, ni connu leurs trois petits-enfants. Il y a une douzaine d’années, j’ai décidé de consacrer davantage de temps à ma famille, à notre qualité de vie. Nous sommes revenus en France. Je me rends aux Etats-Unis, chez Nvidia, tous les trois mois, et je télétravaille depuis mon domicile, sur la Côte d’Azur. »
Franck Diard avoue avoir « légèrement levé le pied » - sans perdre toutefois de vue que si les entreprises américaines récompensent largement les salariés contribuant à leur succès, cela reste corrélé à la performance de ces derniers. Les lauriers, abondamment peut-être, mais le repos sur les lauriers, pas trop…
Désormais, quand il ne conçoit pas de logiciel, le ‘chef architecte’ devient le chef de chantier des maisons qu’il rénove - « j’en ai déjà retapé six…… C’est mon hobby ! ». Parce que s’il lui arrive de jouer un peu de guitare (salut Bruce !) avec ses amis, il n’a rien d’un contemplatif.
Voilà, succinctement brossé, le portrait de l’alumni de l’Université Reims Champagne-Ardenne qui, dans le cadre d’un partenariat visant à promouvoir l'ambition aussi bien que l'excellence académique et scientifique des étudiants de l'URCA dans les domaines de l'informatique graphique, des accélérateurs graphiques (GPU) et du calcul intensif, va faire don de 300 000 € à la Fondation URCA (lire à ce sujet l’interview de Franck Diard et les raisons de ce choix, dans la rubrique Actualités.)
On savait que les informaticiens avaient de la mémoire. Grâce à Franck Diard, on sait maintenant que les rock stars de l’informatique peuvent y connecter un supplément d’âme.