Faciliter l’apprentissage de l’anatomie dentaire grâce à la réalité virtuelle à l’UFR d’Odontologie
Les prochains étudiants de 2ème année de l’UFR d’Odontologie expérimenteront pour la toute première fois une technologie innovante dans le but de faciliter l’apprentissage de l’anatomie dentaire : la réalité virtuelle. Le projet DeMETeRE, qui s’investit dans l’innovation pédagogique en santé, soutient la réalisation et la pérennisation de ce dispositif ambitieux.
Christina Maillet, Enseignante-chercheuse et Sébastien Erckelbout, Chef de projet en simulation pédagogique, portent ce projet et reviennent sur ses enjeux et sa réalisation.
Comment a émergé le projet de simulation de l’anatomie dentaire ?
Christina Maillet :
L’anatomie dentaire est une discipline à laquelle les étudiants de 2ème année en Odontologie seront confrontés tous les jours et qu’ils doivent rapidement maîtriser. L’apprentissage de celle-ci impliquait jusqu’alors d’acquérir des compétences tridimensionnelles, notamment au travers de trav
aux pratiques (TP) de sculpture 3D de dents en plâtre ou en cire à l’aide de planches anatomiques en 2D. Cependant, l’absence de telles pratiques manuelles dans le cursus scolaire de nombreux étudiants les amènent à éprouver des difficultés à se représenter ces structures anatomiques dans l’espace, ce qui complique leur apprentissage.
Sébastien Erckelbout :
Un premier outil numérique (Atlas d’anatomie) a été mis à disposition de l’UFR d’Odontologie en 2019. Ce dispositif offre des modèles de l’anatomie dentaire très simplifiés et ne permet pas d’ajouter des fonctionnalités supplémentaires ou de créer des modèles plus réalistes.
Christina Maillet :
Face à ce défi, nous avons voulu exploiter les outils technologiques immersifs, notamment la réalité virtuelle, familiers pour certains étudiants via les jeux vidéo, afin d’enrichir leur apprentissage.
Quel est ou sont les objectifs de ce projet ?
Christina Maillet :
L’objectif de ce dispositif est de rendre l’anatomie dentaire plus accessible aux étudiants de 2ème année en Odontologie et de renforcer leurs compétences liées à l’aspect tridimensionnel, ainsi que leur compréhension des répercussions cliniques. Cela passe par la création de modèles 3D interactifs, accessibles avec un casque de réalité virtuelle, plus proches de la réalité par rapport aux schémas simplifiés proposés dans les manuels ou logiciels existants. Ce dispositif offrira ainsi aux étudiants une expérience d'apprentissage plus immersive et pertinente.
Le but est également de pouvoir stimuler la participation de chaque étudiant, notamment celle des étudiants les plus réservés. L’immersion dans un environnement numérique, grâce au casque de réalité virtuelle, permet d’interroger les étudiants sur ce qu’ils voient, de leur demander d’identifier une dent ou des parties anatomiques spécifiques, comme le sillon ou la racine d’une dent, tout en favorisant les échanges entre eux pour confronter leurs avis.
Comment se déroulera une session de simulation ?
Christina Maillet :
Lors de la première séance, les premières minutes seront consacrées à la découverte et à la prise en main du casque de réalité virtuelle et de ses manettes.
Ensuite, la séance sera divisée en deux temps. Durant la première phase, les étudiants formeront des binômes : l'un portera le casque de réalité virtuelle, tandis que l'autre recevra des consignes sur l'écran pour identifier certaines structures. La seconde phase sera individuelle. L'étudiant, équipé du casque de réalité virtuelle, explorera une dent et devra interagir en se déplaçant ou en suivant un parcours pour identifier des structures spécifiques.
Un cours théorique préalable en amphithéâtre permettra de présenter les principales structures anatomiques et caractéristiques propres à chaque dent. La session immersive sera ainsi l’occasion d’approfondir la compréhension de l'anatomie dentaire. Les séances seront courtes, de 20 à 30 minutes maximum, afin d'éviter la fatigue liée à l'usage prolongé du casque de réalité virtuelle.
Quel(s) scénario(s) pédagogique(s) ont été établis pour ce projet ?
Sébastien Erckelbout :
En binôme ou individuellement, les étudiants seront interpellés en direct par l’enseignant ou répondront à une série de questions sur Moodle pour être évalués. Par exemple : identifier la dent n°12, positionner la dent en face vestibulaire, identifier l’apex, etc.
Pour valider les différentes actions demandées, des auto-évaluations seront proposées aux étudiants. Ces questionnaires, facilement renouvelables, sont accessibles dans cette application virtuelle via un identifiant généré par notre plug-in Moodle. Cela permettra aux étudiants de connaître leur niveau d’acquisition de l’anatomie dentaire et de se préparer pour les séances de contrôles continus. L’enseignant pourra également suivre l’avancée des étudiants et moduler leur apprentissage.
Par ailleurs, des ingénieurs pédagogiques, doctorants spécialisés en UX (ergonomie et expérience utilisateur), spécialistes des technologies immersives assisteront aux premières séances afin d’identifier les points d’amélioration nécessaires.
Quel a été le processus de mise en place de ce projet, les personnes impliquées et vos rôles respectifs ?
Sébastien Erckelbout :
Après avoir identifié les besoins pédagogiques en cours d’anatomie dentaire, l’équipe projet, composée des experts métiers, d’enseignants-chercheurs en informatique et en ingénierie pédagogique et didactique a travaillé sur la rédaction des spécificités fonctionnelles et techniques permettant de répondre à ces besoins.
Des prototypes utilisant différentes technologies ont été développés en interne afin d’évaluer leurs avantages et inconvénients et de définir le choix de la technologie retenue, conformément aux besoins pédagogiques identifiés (Application de réalité augmentée, de réalité virtuelle, sur écran auto-stéréoscopique).
Cette première étape nous a permis de formuler deux demandes de financements qui ont reçu une issue favorable : l’une auprès du Grand Reims et la seconde auprès du Ministère français de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI).
Pour la partie conception 3D, une entreprise spécialisée dans la réalisation de graphisme 3D médicaux est intervenue afin de concevoir en étroite collaboration avec les experts métiers des dents scientifiquement correctes, tant au niveau de la forme que de leur aspect. Le développement de l’application de réalité virtuelle a été également externalisé. En effet réaliser une application de réalité virtuelle nécessite une équipe d’experts métiers (UI/UX designer, graphiste 2D/3D, développeur 3D temps réel et spécialiste en architecture logiciel/plug-in, testeurs, chef de projet).
Christina Maillet :
Au démarrage du projet, j’enseignais l’anatomie dentaire et les TP de sculpture en plâtre et en cire. J’avais enrichi le contenu pédagogique par des tutoriels (photos, pdf, vidéos) et des modèles imprimés en 3D à différentes étapes de sculpture. Cependant, la problématique de la représentation dans l’espace demeurait pour certains étudiants. Depuis, j’enseigne dans une autre discipline de l’odontologie (Prothèse), mais je continue à contribuer à ce grand projet. Pierre Millet, doyen de l’UFR d’Odontologie, et le professeur Braux, très enclin aux nouvelles technologies, ont joué un rôle déterminant dans le lancement de ce projet.
Mon rôle se concentre sur la construction de l’application (storyboard, navigation, interaction), la conception des modèles pédagogiques et des quiz, tandis que le Dr Justine Leclere, responsable actuelle de l’enseignement de l’anatomie, assurera l’enseignement et l’expérience de simulation avec les étudiants.
De nombreuses composantes et directions sont impliquées dans ce projet : l’UFR d’Odontologie, le Centre Image avec les enseignants-chercheurs Stéphanie Prévost et Eric Dujardin, Hervé Deleau, ingénieur de recherche, l’INSPE avec les enseignants-chercheurs Fabien Emprin et Alexandre Booms, la direction de la recherche et du développement avec Sébastien Erckelbout, la direction du numérique et le service des usages du numérique.
Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez été confrontés dans ce projet ?
Sébastien Erckelbout :
La mise en place d'une salle de réalité virtuelle nécessite de faire coïncider les logiciels spécifiques des fabricants de casques avec nos infrastructures existantes, un processus parfois complexe. La création de modèles 3D scientifiquement exacts exige une collaboration étroite entre le graphiste et l'enseignant, ce qui prend du temps. Enfin, l’organisation d’une séance de simulation et son évaluation est un nouveau défi pour nous.
Christina Maillet :
Nous avons dû faire face à plusieurs défis liés à ce projet dont le développement était une mission totalement nouvelle pour moi. Avant de débuter les échanges avec le prestataire, nous avions de nombreuses idées, mais sans certitude sur leur faisabilité technique. Le financement est également un obstacle, car développer tous les modèles souhaités demande du temps et des ressources financières. Par ailleurs, comme mes collègues de l’UFR Odontologie, nous jonglons entre l'enseignement, les soins aux patients et la recherche, ce qui limite notre disponibilité pour avancer sur le projet. Enfin, entre les idées initiales, la mobilisation des équipes, la recherche de prestataires et de fonds, plusieurs ajustements ont été nécessaires.
Aujourd’hui, où en êtes-vous dans la réalisation de ce projet et quelle suite envisagez-vous ?
Christina Maillet et Sébastien Erckelbout :
Nous avons effectué des premiers tests avec un petit groupe d’étudiants, qui se sont très bien passés. Immédiatement, les étudiants se sont approprié l’outil et étaient curieux d’en découvrir davantage. L’application sera complète et fonctionnelle dès décembre 2024. Des séances de test avec des étudiants de différentes années, encadrées également par les ingénieurs pédagogiques, permettront d’affiner le parcours pédagogique qui sera proposé aux futurs étudiants de DFGSO2.
Ainsi, en septembre 2025, une partie des étudiants accédera à la simulation tandis que l’autre suivra la méthode classique d’apprentissage, afin de comparer les résultats et d’identifier les points d’amélioration pédagogique.
Nous travaillons également sur une seconde version du projet, financée par le projet DeMETeRE, qui permettra d'accéder à l'application sur ordinateur, sans casque, et d’intégrer les ajustements recensés dans la première version. Des modèles virtuels de dents réelles (issus d’imageries volumétriques par faisceau conique (CBCT) anonymisées de l’hôpital) seront importés dans l’application pour présenter la diversité des dents, formant une base de données à la fois pédagogique et clinique.
En parallèle, un projet AMI (Appel à Manifestation d’Intérêt) a été remporté en partenariat avec le CESI, afin de développer un module complémentaire pédiatrique destiné aux étudiants de 4ème année.
Enfin, nous avons la volonté d’ouvrir l’outil aux autres universités françaises et internationales, notamment grâce à l’intégration d’une traduction, dans un premier temps, en anglais.
Contacts : Christina Maillet christina.maillet@univ-reims.fr
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