Les Premières Rencontres Internationales de Reims - Présentation

Faire coïncider viabilité environnementale et progression du bien-être de tous constitue un des enjeux majeurs du développement durable. S’il y a des obligations vis-à-vis des générations futures, il y a aussi des obligations vis-à-vis des générations actuelles nous dit Amartya Sen.

Cet enjeu prend un relief particulier, dans la perspective de 2012, année charnière marquée par une double échéance : celle de la nouvelle conférence des Nations-Unies sur l’environnement et le développement à Rio, 20 ans après 1992, et celle de la reconnaissance formelle par la Commission Internationale Stratigraphique que nous vivons bien dans une nouvelle ère, l’anthropocène. La responsabilité grandissante des sociétés humaines, non seulement vis-à-vis de la planète mais aussi de leur avenir, est ainsi soulignée.

Il est essentiel de traduire cette responsabilité en instruments de gouvernance pour mettre en œuvre des politiques réellement durables. En effet, la légitime montée des préoccupations environnementales entraîne une montée en puissance de solutions techniques et de dispositifs réglementaires ; réponses aux défis environnementaux qui peuvent nuire à l’équité sociale et spatiale ou à renforcer les inégalités d’accès qui existent déjà.

Pour penser cette gouvernance, il importe de refonder les pratiques de planification. En effet, les arbitrages et les décisions doivent s’inscrire dans la construction d’un projet démocratique de long terme et saisi simultanément dans ses dimensions sociale, environnementale et spatiale. Or, depuis la fin des années quatre-vingts, la planification a quasiment disparu de l’action publique sous l’action combinée d’une montée des individualismes, de la pression de l’urgence et de la recherche de rentabilité sociale, politique et économique à courte échéance. Par ailleurs la fin de la guerre froide a donné naissance à des univers plus incertains où les prévisions sont difficiles Il est vrai que la planification, normative et fondée sur des outils d’analyse archaïques, a engendré nombre d’effets pervers à l’origine de ses échecs. Toutefois, si elle n’est plus “à la mode”, elle survit déguisée en une proto-planification qui ne dit pas son nom : aux échelles locale, régionale et nationale (Agendas 21, Plans Climat); à l’échelon international (Framework Programs européens — nous en sommes au septième! — ou Sustainable Development Strategies).

Il est possible, aujourd’hui, de penser un nouveau type de planification qui tienne compte simultanément de l’équité sociale et de la viabilité environnementale en s’appuyant sur des outils et des notions tels que :
les systèmes adaptatifs Hommes-Environnements (HES) au cœur des sciences de la durabilité (sustainability science) ;
les procédures participatives de co-construction de la décision politique ;
les nouveaux modèles informationnels intégrant l’incertitude.

La question récurrente des mécanismes de coordination nécessaires, qu’il s’agisse de l’échelle locale, régionale, nationale ou internationale, est centrale ici. Il s’agit de traiter les processus de prise de décision à partir des interrogations suivantes : Qui décide des arbitrages nécessaires et des procédures de planification ? Quelles méthodes de contrôle et de validation sont possibles ? Ces questions sont sont incontournables pour construire une théorie de la durabilité et la mettre en oeuvre.

Ces premières rencontres marquent le lancement d’un point focal européen de la Sustainability science à Reims. La Sustainability science —difficilement traduisible, sinon maladroitement en “Sciences de la durabilité”— forme un champ disciplinaire émergent (http://m.pnas.org/content/104/6/1737). Sa naissance formelle date de la conférence mondiale d’Amsterdam Challenges of a Changing Earth en 2001. Elle tente d’éclairer la mise en œuvre du développement durable. Cela suppose une approche multiscalaire —temporelle, spatiale et fonctionnelle— ainsi que la prise en compte des équilibres dynamiques, non seulement économiques, physico-chimiques ou biologiques mais aussi entre des acteurs et des sociétés aux intérêts parfois divergents. Elle correspond à une recherche centrée sur “l’usage” (use-inspired research) qui part du postulat que les grandes avancées théoriques, quel que soit le domaine, ont été faites au cours de recherches appliquées aux besoins concrets des sociétés humaines. Il s’agit donc d’une recherche à la fois “fondamentale” et “appliquée”.
Ce point focal européen sera un lieu de construction théorique initiant des programmes de recherche qui privilégient les interfaces entre disciplines. Il organisera tous les ans un intensive workshop thématique rassemblant l’ensemble des partenaires.

François Mancebo