Texte de cadrage
La réflexion sur « Le corps à l’œuvre » a dû composer avec une difficulté annoncée : on peut concevoir que le corps, entité physique hors langage, interfère dans le processus créateur mais on ne peut en rendre compte que par du langage. Pour autant, il est apparu que ce corps agissant peut-être reconnu et appréhendé moins par le lexique spécialisé, façonné par les différentes disciplines culturelles qui s’occupent de le penser, que par un certain nombre de traces de sa présence : façon d’occuper l’espace, intonation de la voix dans la profération orale, formations mixtes dont jouent les différentes écritures littéraires et dont le nom le plus courant est fantasme. La littérature peut s’attacher à cette volonté d’ex-crire le corps, selon le mot de Jean-Luc Nancy repris par un de nos intervenants. Le théâtre, par la matérialisation de l’espace et des corps des acteurs, rend tangible cet en-deçà du langage qui entre dans le processus de création. A tel point que les romanciers et poètes, comme l’ont montré certaines communications, ont souvent éprouvé le besoin d’en importer l’expression métaphorique dans des genres a priori non conçus pour la scène. C’est dire que le fantasme, cette autre scène rendue accessible par la littérature, en constitue sans doute une face déterminante. Lorsque quelque chose se joue du corps vers la psyché, la parole impossible se traduit en visions, actes, manipulations d’objets. Le propre du romancier, du poète autant que du dramaturge, est de donner à saisir cette projection d’un corps indicible dans l’évocation de scénarios fantasmatiques. Dans ce processus de réflexion indirecte, nous avons constaté le fort retentissement des cultures et contextes historiques. Tout corps agissant, qu’il soit corps d’auteur, de personnage, ou de lecteur est un corps inséré dans un réseau de circonstances accordant des lieux traversés et des moments vécus. Les tragédies historiques, les dictatures impriment leurs marques sur les corps, l’impossible résonance psychique se résout en traces somatiques.
Dès lors, ce que nous voudrions appréhender est l’articulation du fantasme et de l’histoire dans sa dimension individuelle et collective. Si on a pu définir le fantasme comme « scénario imaginaire où le sujet est présent et qui figure, de façon plus ou moins déformée par les processus défensifs, l’accomplissement d’un désir, et en dernier ressort, d’un désir inconscient » (Laplanche et Pontalis), les recherches de la psychanalyse vivante montrent qu’on ne peut réduire ce désir inconscient à un noyau infantile individuel. L’inconscient n’est peut-être que « l’envers du temps », pour reprendre le mot du poète Aragon qui en faisait la formule de la poésie. Les travaux d’Abraham et de Torok sur le fantôme et la crypte ont souligné que cet inconscient qui nous traverse et nous anime peut aussi venir de générations antérieures. Le mythe dans sa dimension collective sans cesse retravaillée par les imaginaires individuels, joue ici un rôle important. L’histoire, de son côté, qu’on la comprenne comme discipline à part entière ou dans son interférence avec l’activité littéraire, ne laisse pas d’être une notion problématique sans cesse repensée par ceux qui la pratiquent. Exposée aux avatars de la subjectivation et de la falsification, elle demeure, dans sa visée, une science humaine plus directement soumise, peut-être, à un impératif d’objectivité.
L’écriture et la lecture sont le moment où ce matériau disparate – fantasme et histoire – se condense et s’articule en une forme : « j’ai seul la clef de cette parade sauvage » écrivait Arthur Rimbaud dans une belle intuition réflexive. Jusqu’à quel point, néanmoins, la clef du lecteur peut-elle s’adapter à la serrure du texte, pour en faire tourner la porte sur ses gonds ? Par clef on n’entendra pas cette plate traduction des romans à clefs, mais quelque chose comme la formule permettant de faire jouer ensemble les composants hétérogènes entrant dans l’élaboration du texte afin de leur donner ou redonner vie.
PROGRAMME
24 septembre 2013
Antonia Fonyi (CNRS, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3) : Fantasme et narration littéraire
08 octobre 2013
Marie-Madeleine Gladieu (Université de Reims Champagne-Ardenne) : Armas Marcelo : Penser l’histoire avec la psychanalyse
22 octobre 2013
Entretien avec Paul Gayot (professeur d’histoire, pataphysicien, écrivain) autour de : Queneau, le fantasme et l’Histoire
05 novembre 2013
Nathalie Roelens (Université du Luxembourg) : Le fantasme de destruction chez Sade et Pasolini
19 novembre 2013
Jean-Michel Pottier (Université de Reims Champagne-Ardenne) : À propos de Jean Rosny Aîné : La Guerre du feu
17 décembre 2013
Alain Trouvé (Université de Reims Champagne-Ardenne) : Croisements rêvés de l’Histoire et des Lettres : lecture du Sermon sur la chute de Rome (Jérôme Ferrari)