JGR 2021 - Résumés des interventions

Re-Embodying and Re-territorialising Global Corporations

John Mikler - Associate Professor, University of Sydney
Le jeudi 18 novembre à 10h00
[En anglais]

Le capitalisme, tel qu'il est pratiqué aujourd'hui, n'est pas libéral. Il n'est pas non plus néolibéral. Il est organisé autour des firmes (en anglais : corporate). Il se caractérise par l’existence de firmes multinationales qui sont des acteurs centraux aussi bien économiquement que politiquement. Il est nécessaire de les analyser, d’étudier leurs identités et leurs stratégies complexes, car ce ne sont pas seulement des entités axées sur le profit, elles cherchent, dans la mesure du possible, non seulement à diriger ou à modifier les agendas des États et des citoyens, mais aussi à gouverner à part entière. En même temps, étant donné qu'elles sont liées aux États, nous devons les re-territorialiser, car leur pouvoir découle des gouvernements des pays riches où elles ont leur siège et est soutenu par eux. Les firmes reflètent et projettent donc le pouvoir politique des États et des régions dont elles sont issues. On ne peut plus prétendre que nous vivons dans un ordre mondial libéral menacé, tout comme cela n'a plus de sens de prétendre que la mondialisation est soit libérale, soit néolibérale. La réalité contemporaine est que les marchés libres sont morts et que la concurrence a été balayée par des industries contrôlées par une poignée de sociétés issues d'une poignée d'États qui gèrent efficacement leur environnement politique à leurs propres fins.


La diplomatie comme arme de guerre économique ?

Marieke LOUIS, IEP Grenoble et CERI SciencesPo
Le jeudi 18 novembre à 11h30

Les multinationales sont devenues des acteurs politiques qui utilisent la diplomatie comme instrument pour défendre leurs intérêts.

Les tentatives politiques de réguler les multinationales dès les années 1970, et qui restent d'actualité avec la négociation d'un traité onusien sur les multinationales et le respect des droits de l'Homme, se heurtent ainsi fréquemment à la mobilisation des firmes et de leurs représentants.

Notre contribution vise à montrer comment les multinationales ont investi les arènes de la gouvernance mondiale pour y défendre une certaine vision de la régulation économique et de leurs responsabilité sociale et politique.

Dernier ouvrage en date : Marieke Louis (ed.), Why International Organizations Hate Politics. Depolitizing the World, NY et Londres, Routledge, 2021.

Voir aussi : Marieke Louis, Christian Chavagneux (dir.), Le pouvoir des multinationales, Paris, PUF, Coll. « La vie des idées », 2018.


Une remise en question des critiques de la guerre économique

Jean-François Bianchi - Professeur associé de l’École de Guerre Économique (EGE)
Le jeudi 18 novembre à 14h00

Pendant longtemps le concept de guerre économique a été le sérail de quelques rares pensées stratégiques, en recherche de puissance, ou d’intellectuels hétérodoxes qui ne souhaitaient pas s’inscrire dans le story-telling d’une mondialisation heureuse, servi par ces stratèges qui menaient ce nouveau mode de résolution des conflits, clandestinement, et à leur profit.

Aujourd’hui le concept de guerre économique entre enfin dans les pensées du politique, des académiques, et hélas, seulement dans une moindre mesure… des entreprises. Il convient donc de définir le concept et d’expliquer pourquoi ses opposants ont voulus le définir si radicalement, soit comme un vulgaire mythe complotiste, soit comme un pure oxymore sophiste.

S’arrêter sur la dialectique autour de la guerre économique, c’est donc associer deux axiomes. En premier, celui de la guerre, est de sa transfiguration moderne, qui fait éclater les frontières classiques de la polémologie. En second, de son champ d’élaboration et de conduite, l’économie, qui est devenue tout à la fois le moyen, l’enjeux et l’ennemi d’une guerre apparemment non armée, où la puissance a déclassé le pouvoir à un simple jeu d’apparences informationnelles.

La prise de conscience à avoir autour du concept de guerre économique est une nécessité existentielle, pour ceux qui ne souhaite pas devenir les esclaves, ou pire, les collaborateurs des mains invisibles des marchés qui ne sont ni néo, ni ultra-libéraux, mais libertariens, donc anarcho-libéraux.

Dernier ouvrage en date : Ouvrage collectif, Christian Harbulot (Dir), JF Bianchi, Manuel d’intelligence économique, Paris, Éditions PUF, tome 3, 2019.

Dernier article : JF. Bianchi “Diplomatie publique et jeux d’influence, la puissance du soft power par les vaccins (covid 19)“, in la lettre HA, lettre d’information stratégique Hyperborée, Rabat, Maroc, n°29, octobre 2021.

Mots clés : Guerre, économie, pouvoir, puissance, conflit.


La sécurité économique au cœur de la guerre économique

Axelle Degans - Docteur en géographie, Professeur de classe préparatoire à Lille, chercheuse associée à l'équipe de recherche Habiter (EA 2076)
Le jeudi 18 novembre à 14h30

Nous prenons difficilement conscience que la guerre économique est notre nouvel horizon. La guerre économique est ce que Christian Harbulot (École de guerre économique) définit comme l’expression majeure des rapports de forces non-militaires et post-guerre froide, même si elle préexistait à la chute du mur de Berlin, elle s’est considérablement développée depuis les années 1990. La sécurité économique, est une thématique trop souvent considérée comme un simple appendice de l’intelligence économique et stratégique. Je la définis ainsi : « la sécurité économique recouvre le champ des entreprises – sûreté, contrôle de l’information, viabilité de la structure – et des acteurs publics – l’État est premier mais non unique – qui doivent assurer des missions intérieures relevant de la protection (de la société civile, les renseignements), des missions extérieures stratégiques (Défense, Affaires étrangères) ou de protection (société civile pour ses besoins, entreprises), des missions de développement des capacités essentielles pour la préservation de l’avenir (innovations, développement économique, sécurisation des approvisionnements). Il s’agit d’une stratégie à caractère défensif (protection) et offensif (soutien aux entreprises dans la conquête ou la préservation de marchés) dont l’objectif loin d’être belliqueux est de préserver un cadre et un niveau de vie confortables à l’ensemble des citoyens en dépit d’une hyper compétition économique et commerciale y compris entre alliés. »

Cette thématique est révélatrice des forces à l’œuvre à plusieurs titres. Il eut été quasiment impossible d’organiser un tel colloque de géopolitique à Reims en 2015, tellement cette thématique semblait incongrue voire dérangeante. Il n’en est plus de même aujourd’hui, preuve que les esprits évoluent. La France et l’Europe commencent à sortir d’un long déni qui leur a été considérablement dommageable, et ce malgré les multiples alertes (rapport Martre (1994), rapport Carayon (2013), affaire Snowden (2013)…) qui auraient dû déboucher sur une prise de conscience plus rapide et plus forte. L’analyse des représentations de la guerre économique et de la sécurité économique est donc particulièrement intéressante. Le contexte général évolue. La mondialisation – définie comme la mise en place d’un marché global où règne la concurrence de tous contre tous – sert ceux qui s’en emparent, et en particulier les pays émergents. Ceci explique la montée en puissance des préoccupations géopolitiques face aux logiques géoéconomiques. La fin de la Guerre froide a parfois relégué au rang d’accessoire les questions géopolitiques, en particulier dans un continent qui organise sa propre « sortie de l’Histoire », au travers de sa démilitarisation comme de sa désindustrialisation, en préférant l’interdépendance et en misant sur une fin des stratégies de puissance. Pourtant, cette communication s’inscrit à rebours de l’analyse d’Edward Luttwak (1993) ou Pascal Lorot (2001) qui estiment que la géoéconomie est la nouvelle grammaire d’un monde global où triomphent les logiques financières, économiques et industrielles. La géopolitique est, quant à elle, l’analyse des rapports de force inscrits dans les territoires (Yves Lacoste), or, on ne peut que constater l’affirmation récente des nouvelles logiques de puissance d’acteurs toujours plus nombreux. L’analyse géopolitique de la guerre économique a tout son sens.

La politique de sécurité économique est une application dans les faits de la prise en compte de la réalité de la guerre économique. Cette intervention reviendra sur le contexte géoéconomique géopolitique mondial pour rendre compréhensible le long déni des décideurs français et européens, leur dessillement qui amène à la mise en place de mesures de sécurité économique (comme la création des Opérateurs d’importance vitale (OIV) jusqu’à la réflexion de la mise en place d’une politique d’intelligence économique et stratégique décidée en mars 2021. À l’évidence, le contexte de la crise sanitaire accélère les évolutions, tant à l’échelle des décideurs politiques qu’à celle des entreprises, victimes de cyberattaques encore plus nombreuses et déstabilisantes depuis le printemps 2020. Le temps du réalisme arrive – et peut être au niveau géopolitique de la « realpolitik » - cette communication reviendra sur les évolutions récentes, à toutes les échelles, en ayant soin de les expliquer. La géopolitique offre un éclairage précieux et devient un outil indispensable de la prise de décision.

Mots clés : guerre économique, intelligence économique et stratégique, sécurité économique, protectionnisme, politique économique


Quand les lignes se brouillent entre guerres clausewitziennes et guerres économiques

Olivier CHOPIN, EHESS et Ministère des armées
Le jeudi 18 novembre à 15h45

En mai 2021, l’entreprise Colonial Pipeline qui gère une grande partie des oléoducs de l’est et du sud des États-Unis (2,5 millions de barils/jour sur un total mondial de 90 millions b/j) a admis avoir payé 4,4 millions de dollars après une attaque au rançongiciel.

Backdoors dans les antennes, vols de technologie, violation de sanctions, racket, complot criminel… depuis 2019, l’affaire Huawei est au cœur d’une controverse d’une rare violence entre l’entreprise chinois et les pays occidentaux dont l’objectif est le contrôle des réseaux 5G.

Ces deux affaires symboliques mélangent à la fois les actions des États westphaliens et de nouveaux acteurs économiques (FTN, GAFA/BATX, Start-up, licornes…), brouillant les frontières classiques entre guerre westphalienne et guerre économique.

L’espionnage industriel, la cybercriminalité, le renseignement économique posent de nouvelles questions et obligent la géopolitique traditionnelle à redéfinir certaines de ces approches. Les acteurs non-étatiques ou para-étatiques sont-ils en train de prendre la main dans les nouveaux domaines des guerres économiques ?

Dernier ouvrage en date : Olivier Chopin, Benjamin Oudet, Renseignement et sécurité, Paris, Armand Colin, Coll. « Cursus », 2e éd. 2020.

Dernier article en date : Olivier Chopin, Benjamin Oudet, « Le renseignement américain de Donald Trump à Joe Biden », in Diplomatie-Les Grands Dossiers, juin 2021, p. 80-82.